19 décembre 2006

Manifeste Légitimiste, Introduction à la politique

La civilisation n’est plus à inventer… Il ne s’agit que de l’instaurer et la restaurer sur ses fondements naturels et divins contre les attaques toujours renaissantes de l’utopie malsaine, de la révolte et de l’impiété : Omnia instaurare in Christo”. Saint Pie X

Avant d’être royaliste, je suis catholique et français. Je dirais même que je ne suis royaliste que parce que je suis catholique et français...” Comte Maurice d’Andigné.

Avant-propos

Depuis la chute de la monarchie en 1830, à l’exemple des illustres Louis de Bonald et Joseph de Maistre, les légitimistes maintiennent et manifestent le principe royal par des journaux, revues et ouvrages, dont le succès et la diffusion ont considérablement varié d’une époque à l’autre.
Dans le cadre de ce combat doctrinal une étape revient régulièrement : il s’agit de la publication d’un “manifeste légitimiste”, dont la vocation est principalement d’exposer les raisons du combat légitimiste, mais aussi de dénoncer les erreurs nombreuses qui gangrènent la politique depuis la Révolution.
Le dernier manifeste publié par l’Union des Cercles Légitimistes de France remonte à plusieurs années et se trouve épuisé aujourd’hui ; aussi le renouvellement d’une publication devenue traditionnelle s’impose. L’intérêt de la monarchie augmente d’autant plus que la France s’éloigne du bien commun, et il est nécessaire pour connaître et faire connaître la légitimité de disposer d’un document comme le manifeste.
Une seconde raison motive cette publication. Depuis plus de dix ans l’U.C.L.F. organise chaque année un camp d’étude permettant aux personnes de bonne volonté d’approfondir la doctrine légitimiste.
D’année en année, au fil des lectures, conférences et discussions, plusieurs participants ont réalisé des études sur les institutions, à l’école de Bossuet, Bonald, Maistre et bien d’autres.
La plus grande partie de ce manifeste se trouve constituée de celles de ces études portant sur la doctrine légitimiste proprement dite. La critique des erreurs issues de la Révolution n’est pas approfondie ici faute de place. Elle le sera dans un deuxième tome.
Le nombre et la variété des auteurs expliquent les différences de style d’une étude à l’autre. Certains aiment condenser leur exposé et expliquent le problème à mots comptés. D’autre préfèrent développer les faits et les idées et rédigent des textes plus étendus. Au delà de ces variations dans la forme, les uns et les autres se complètent et s’articulent bien car leur objectif est le même : restaurer le règne politique de Notre Seigneur Jésus Christ.

Hugues Saclier de la Bâtie
Président de l’U.C.L.F.

INTRODUCTION A LA POLITIQUE

Introduction

Il nous a paru utile d’intégrer à ce manifeste une brève présentation de la politique par rapport aux autres activités humaines : ces quelques principes permettent d’éviter certaines erreurs de raisonnement aux conséquences néfastes.

I- Les actions humaines

Il existe trois ordres d’actions humaines par ordre croissant dans la noblesse :

- La fabrication
Le sujet transforme une matière extérieure, il produit des objets utiles à l’homme, comme par exemple le travail de l’industrie, de l’artisanat, de l’artiste. La fabrication n’est pas le propre de l’homme, il partage cette opération avec les animaux ; c’est donc la moins noble des actions humaines.
La fabrication est l’objet des sciences techniques ou sciences appliquées.

- L’action
Le sujet se transforme lui-même intérieurement, par exemple l’enrichissement intérieur du sujet par sa participation à la vie sociale : famille, éducation, associations… L’action est le propre de l’homme.
L’action est l’objet de la science morale.

- La contemplation
Le sujet contemple la Vérité, la Beauté, le Bien. Dans l’antiquité, il ne pouvait s’agir que des vérités métaphysiques (considérations sur l’être). Dans la chrétienté, il s’agit en plus des vérités théologiques : la contemplation de Dieu Lui-même par la connaissance qu’Il nous donne de Lui dans la révélation et par la grâce.
La contemplation n’est pas le propre de l’homme, il partage cette opération avec les substances angéliques ; c’est donc la plus noble des actions humaines.

II- Classification des sciences

On peut classer les sciences de deux façons, selon deux objectifs :

- Pour la connaissance et la contemplation : ORDRE SPECULATIF
La science spéculative étudie les choses pour elles-mêmes.
Ex : métaphysique, mathématique, physique fondamentale...

- Pour l’action : ORDRE PRATIQUE
La science pratique étudie les actes volontaires en tant qu’ils sont ordonnés à une fin.
- La logique étudie l’ordre que la raison établit dans ses propres actes pour arriver à la vérité.
- La science technique étudie la fabrication : l’ordre que la raison établit dans les actes de transformation de la matière pour réaliser une oeuvre :
Ex : ordre dans les opérations à mener pour construire un navire.
Ex : physique appliquée, artisanat, technologies...
- La science morale étudie l’action : l’ordre que la raison établit dans les actes de transformation intérieure de l’homme en vue d’une fin (qu’il reste à préciser).

III- La science morale

- Objet de la science morale
La science morale a pour objet l’ordre, la hiérarchie que la raison établit dans les actes qui transforment intérieurement l’homme en vue d’une fin.
On étudie la science morale pour agir en vue d’une fin. C’est à cette science de nous dire quelle est la fin de l’homme, le but de la vie.

- Propriétés de la science morale
A l’opposé d’une science spéculative qui fait abstraction des cas particuliers, qui universalise, la science morale, comme toutes les sciences pratiques, n’est pas parfaitement abstraite : elle a pour objet des actions qui sont toujours concrètes, réelles. Donc on ne pourra pas pratiquer la science morale sans tenir compte des conditions concrètes de la vie.
Ainsi un pur logicien peut ne pas prendre les bonnes décisions s’il ne tient pas compte de la situation réelle. Le danger dans la science morale est l’esprit de système : de l’aborder de manière abstraite, de ne pas prendre toute la réalité en compte ou de n’en privilégier qu’un aspect puis, par logique, de systématiser.

- Moyen d’étude
Comme pour toute science pratique, la morale sera surtout inductive (l’induction consiste à passer des faits à la loi).
Elle suppose donc une bonne connaissance du concret, de l’expérience.
La science morale se heurte à trois grosses difficultés :
- Alors que dans les autres sciences pratiques, l’induction est assez rapidement vérifiable, le résultat de l’exercice d’une science morale donnée sur un peuple, une cité peut prendre des années.
- On ne peut gratuitement pratiquer des expériences (vérifier si une induction est bonne) sur les hommes (Ex : martyr des peuples cambodgien, chinois...). Faire une erreur dans le domaine moral peut entraîner le malheur d’un peuple pour longtemps.
- L’induction en science morale concerne directement notre vie, aussi les passions humaines peuvent s’en mêler. Parce qu’il est à la fois juge et partie, il est difficile à l’esprit humain de faire la part des choses. Ex : Un homme politique qui doit légiférer sur le divorce sera fortement influencé par sa propre situation matrimoniale.
Pour toutes ces raisons, l’exercice de la science morale est très difficile. On doit agir en vue de la finalité qu’elle nous indique (dont elle a établi qu’elle est bonne et vraie). Il faut accepter de ne pas avoir de certitude absolue (comme en mathématiques) quant à la mise en oeuvre, la façon d’arriver à cette finalité.

IV- Eléments de science morale

- Les trois parties de la science morale
On distingue trois parties dans la science morale :
La monastique (ou morale personnelle). Elle considère les actes de l’individu en tant qu’ils sont ordonnés à une fin.
La domestique (ou morale familiale). Elle considère les actes de la collectivité familiale en tant qu’ils sont ordonnés à une fin.
La politique (ou morale de la cité). Elle considère les actes de la collectivité civile en tant qu’ils sont ordonnés à une fin.

- Principe premier de la science morale : “ l’homme est un animal social et politique”
Il s’agit d’un principe : on ne peut le démontrer, on ne peut que le constater dans les faits. On constate que l’homme seul ne peut subvenir à ses besoins ni développer la fabrication, l’action et la contemplation. Pour cela il doit vivre en famille, en village, en corps de métier, en associations diverses qui se répartissent les tâches et les connaissances pour le bien de tous.
L’homme sans la société, c’est l’enfant-loup. Par nature l’homme est un animal social.
Familles, villes, corps de métiers, associations sont appelés communautés naturelles ou encore corps intermédiaires. Aucune communauté naturelle ne suffit à répondre par elle-même à tous les besoins, aussi elles tendent à se regrouper au sein de la Cité ou communauté politique dont le propre est l’autosuffisance, l’autarcie. Donc par nature l’homme est un animal politique (= qui vit dans une cité).
La nature d’un être c’est sa fin, ce vers quoi il tend pour s’accomplir (principe métaphysique). Donc dans l’ordre pratique, ce qui achève la nature de l’homme, ce qui réalise sa fin ultime, c’est de vivre, d’agir au sein d’une communauté politique.

- La finalité de la politique : le bonheur possible ici-bas = le bien commun
Dans un premier temps, on peut remarquer que le bonheur et la communauté politique présentent une analogie dans leur définition par leur caractère d’autosuffisance:
- Le bonheur est un bien qui se suffit à lui-même (puisqu’il rassasie).
- La cité est une communauté qui se suffit à elle-même (autarcie).
Le bonheur est la fin ultime de nos actes, nous le désirons pour lui-même, c’est le bien le plus élevé.
Or, on a démontré que dans l’ordre pratique, la fin ultime de l’homme est d’agir dans la cité. Donc le bonheur de l’homme nécessite au moins qu’il vive et agisse au sein d’une cité.
Ainsi, on ne peut envisager le bonheur en terme individuel : même si quelqu’un possède tout ce qu’il désire, il ne peut être heureux si autour de lui les autres ne le sont pas, ou s’il n’a personne avec qui agir et partager ses sentiments (désespoir de Robinson Crusoé). D’un point de vue naturel, il est impossible d’être heureux tout seul.
Ici-bas, le bonheur est toujours relatif, on ne peut échapper à certains malheurs (deuils, maladies...).
Le rôle de la politique est de réaliser le bonheur maximal possible ici-bas : le bien commun.
La politique considère les actes de la collectivité civile en tant qu’ils sont ordonnés au bien commun. Ce raisonnement est celui d’Aristote et d’autres philosophes de l’Antiquité, il se place sur un plan strictement naturel et aboutit à un constat assez amer : si vivre dans une cité est la condition du bonheur en cette vie, celui-ci demeure malgré tout très imparfait, on le nomme bien commun.
Grâce à la Révélation, dans la cité chrétienne, le bien commun est transcendé : la fin ultime est le bonheur parfait dans l’autre monde (la contemplation éternelle de Dieu). Mais ce bonheur ne peut être atteint que si l’on a agi conformément au bien commun en ce monde.

- Conséquences : morales personnelle et familiale sont ordonnées à la politique.
On dit qu’une science est rectrice de toutes les autres si elle considère la fin ultime.
Dans l’ordre spéculatif, la science rectrice de toutes les autres est la métaphysique.
Dans l’ordre pratique, la science rectrice de toutes les autres est la politique.
Donc dans l’ordre pratique, sur le plan naturel (et non sur le plan surnaturel de la morale révélée), la morale personnelle et la morale familiale sont ordonnées à la politique. “Il n’y a de morale naturelle que politique, si l’homme est un animal social il ne peut en être autrement”. Marcel de Corte (L’ordre français N° 239).

Remarque 1 : il faut bien souligner que l’on parle ici de la morale naturelle (accessible par la raison seule) : un bon traité de morale naturelle est l’“Ethique à Nicomaque” d’Aristote (350 av. J-C). La morale surnaturelle, quant à elle, est une morale révélée par Dieu aux hommes dans la bible. Elle vient éclairer nos intelligences (obscurcies par le péché originel) qui n’arrivent pas à retrouver par elles-mêmes la morale naturelle.

Remarque 2 : Contrairement à ce que prétendent les catholiques libéraux, la morale naturelle n’a pas pour fondement la dignité de l’homme mais le bien commun.