19 décembre 2006

Manifeste légitimiste, Légitimité naturelle et légitimité théologique

“De la forme donnée à la société, conforme ou non aux lois divines, dépend et découle le bien ou le mal des âmes...”. Pie XII.

“La forme du gouvernement... n’est pas une simple étiquette sans importance... Si la doctrine catholique exige seulement que le gouvernement... assure le bien commun, la raison et l’expérience demandent en outre qu’il y ait dans le gouvernement le plus possible d’unité, de stabilité, de cohérence”. Abbé Barbier.

“Choisir entre les formes de gouvernement de la Cité que sont la république, l’aristocratie, la monarchie, ce n’est pas seulement un problème d’ordre politique, mais peut-être même LE problème politique !” Adrien Loubier, in Politique d’abord.

Légitimité naturelle
et légitimité théologique

Introduction
En ces temps de Révolution il importe de rappeler certaines réalités aux catholiques soucieux de restaurer une société chrétienne.
Par une extraordinaire naïveté ils sont encore nombreux à croire à la loi du nombre : une majorité numérique de catholiques dans le pays suffirait à rendre celui-ci catholique.
D’autres, plus avertis, estiment qu’il suffit que les institutions reconnaissent le Christ-roi, son Eglise et ses enseignements.
Des mouvements comme la Cité Catholique de Jean Ousset et plus récemment Civitas pensent sérieusement faire de la politique en se contentant d’énoncer les principes chrétiens du pouvoir sans se soucier de la forme des institutions à mettre en place.
Dans le présent exposé nous nous proposons de montrer que ces bonnes intentions ne sauraient suffire.
Il importe avant tout de bien comprendre à quoi sert l’institution, puis à l’école de l’Histoire, de chercher sa forme la meilleure pour rétablir la Cité de Dieu dans notre pays.

I- Qu’est ce qu’une institution ?

Un constat : les limites humaines

Comme nous l’avons vu dans le chapitre sur l’introduction à la politique, par nature l’homme est un animal politique. Sans la société l’homme est un enfant loup.
Grâce à la société il jouit d’un certain bonheur (toujours relatif ici-bas) non seulement par les connaissances, la sécurité, le confort que celle-ci lui procure mais aussi par le fait même de participer à la vie de cette société. Ce bonheur est directement tributaire de l’unité de la société qu’est la paix (la paix est la tranquillité de l’ordre, la concorde ordonnée qui existe entre les hommes lorsqu’on rend à chacun ce qui lui est dû).

Pour assurer l’unité de la paix appelée bien commun, pour ordonner les activités multiples de la
Cité, il faut une coordination, un gouvernement, une autorité politique. L’autorité peut être détenue par un ou plusieurs individus qui devraient avoir le souci constant du bien commun.

Malheureusement tout homme est caractérisé par ses limites et par son instabilité:
1. Il n’est jamais à l’abri de passions qui peuvent altérer son jugement : comment protéger le peuple des passions de celui qui gouverne, et celui qui gouverne des convoitises de ceux qui désirent sa place ?
2. Il est toujours tenté de sacrifier le bien commun à des intérêts personnels.
3. Il est limité en connaissances.
4. Sa vie est limitée dans le temps : à qui doit revenir l’autorité quand son détenteur disparaît ?
Nous venons de mettre en relief la nécessité d’une institution politique, car il entre précisément dans les attributions de l’institution de :
 garantir la continuité du bien commun par delà les fragilités, les limites des hommes,
 soustraire le bien commun aux aléas de leurs passions.

Ce que dit le dictionnaire du mot institution

Etymologie : du latin instituere = instituer, établir
Définition : ensemble des organismes et des règles établis en vue de la satisfaction d’intérêts collectifs.
Au pluriel : lois fondamentales d’un pays.

Il ressort de cette définition que :
1. La finalité de l’institution est l’intérêt collectif autrement dit le bien commun.
2. L’institution désigne l’ensemble organismes + règles.
3. Une institution s’établit, ce qui implique une réflexion sur sa forme et sur ses règles.
Il faut donc penser l’institution, mais à ce stade de notre développement il convient de souligner deux éléments importants :
 A la différence d’autres institutions plus ou moins contingentes, l’institution politique est nécessaire, elle ne se décrète pas, elle s’impose à nous de par notre nature d’animal politique (en effet, il ne saurait exister de cité sans gouvernement). Il n’y a pas, à la naissance de l’institution politique, de contrat social.
En revanche, il y a bien intervention humaine pour expliciter ses règles, pour lui donner sa forme.
Il en va ainsi pour une autre institution : l’Eglise qui, elle non plus, ne découle pas de la volonté humaine, mais d’une prescription divine. Ses règles (le droit canon) sont le fruit de la réflexion des hommes : Il a fallu s’organiser pour mettre en oeuvre le message divin en tenant compte des limites de la nature humaine. Ainsi le mode de désignation du pape, la nomination des évêques, la liturgie ont été pensés pour respecter le plus possible la volonté de Dieu.
 Il ne faudrait pas se méprendre sur l’expression “penser l’institution” en ce sens que ce n’est pas une pensée “a priori”, mais une pensée essentiellement inductive. Il s’agit de tirer les leçons de l’observation du réel, de l’expérience et en fin de compte de l’Histoire.

Degré de légitimité d’une institution politique

Le chrétien doit, en plus, tenir compte des prescriptions de Dieu dans Sa Révélation :
 La société doit reconnaître Jésus-Christ comme Roi (sa royauté vient du Père et non de ce monde), et ses lois doivent se conformer au message évangélique.
 Le dépôt de la Révélation est confié à l’institution Eglise, distincte de l’institution politique. [C'est la distinction chrétienne des pouvoirs temporel et spirituel. "Rendez à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu." Cette distinction ne signifie pas "Séparation" mais saine collaboration entre deux pouvoirs distincts en vue du Bien commun].

Donc, pour le chrétien, une institution politique est d’autant plus légitime théologiquement (conforme à la Révélation), qu’elle reconnaît la souveraineté du Christ, qu’elle applique le message évangélique dans ses règles et qu’elle aide son Eglise.

II- Leçons tirées de l’histoire des institutions

L’empire romain
Dans l’Antiquité le gouvernement monarchique est le plus universellement répandu. Il ne faut pas s’en étonner, n’est-il pas le plus légitime naturellement, le plus conforme au bien commun ?
En effet nous explique Saint Thomas : “Il est manifeste que ce qui est un par soi peut mieux réaliser l’unité que ce qui est multiple. De même la cause la plus efficace de chaleur est ce qui est chaud par soi. Donc le gouvernement d’un seul est plus utile que celui de plusieurs”. (De Regno II 23-27)
C’est dans un monde gouverné par un empereur que le Christ vient, et que les premières communautés chrétiennes se développent. Le christianisme apporte cependant une nouveauté capitale : tout le monde s’accorde à reconnaître le civisme des chrétiens, leur dévouement envers l’empereur mais ceux-ci refusent de l’adorer comme un dieu. En dépit ou grâce aux persécutions dont il fait l’objet, le christianisme s’étend à toutes les couches de la société.
En 313 l’empereur Constantin promulgue l’Edit de Milan qui accorde la liberté de culte aux chrétiens.
Après un bref retour à la persécution, en 380 l’empereur Théodose déclare le christianisme religion d’Etat et en 392 il interdit les cultes païens et hérétiques. Les conciles de Nicée (325), de Constantinople (381) et de Chalcédoine (451) ont été convoqués par l’empereur. Quelquefois celui-ci s’immisce dans le concile et même le préside. En 476 c’est un empire chrétien qui disparaît quand l’empereur Romulus Augustule est déposé par le chef barbare Odoacre.
SCANDALE ! ! Comment une Cité dont les institutions devenaient chrétiennes (donc légitimes théologiquement) a-t-elle pu s’effondrer de la sorte ?
Un observateur catholique se doit de trouver une réponse à cette question. Or que découvre-t-on à l’étude de la chronologie des empereurs ? Une grande instabilité politique.
A ce sujet les chiffres sont éloquents. En passant sous silence les nombreux empereurs douteux et en ne considérant que ce qui intéresse la partie occidentale de l’empire :
 D’Auguste Octave (27 av J.C.) à Romulus Augustule (476 ap. J.C.), on compte environ 73 empereurs romains. La durée moyenne d’un règne se situe donc aux alentours de 7 ans.
 Sur ces 73 empereurs, 37 (soit 50%) ont été assassinés, exécutés ou contraints au suicide.
Autrement dit, on dénombre au moins 37 instabilités graves de l’autorité politique en 500 ans.
Cette longévité de l’empire apparaît alors remarquable ; elle peut s’expliquer par le génie administratif des Romains. Partout où ils passent, ceux-ci laissent leur organisation : magistrats, assemblée aristocratique, assemblée populaire…
La stabilité de l’administration compense l’instabilité du pouvoir politique.
 En ce qui concerne la seule période de l’empire romain chrétien d’occident (soit 84 ans) nous comptons au moins 12 empereurs sans compter les usurpateurs et les aventuriers.
En principe l’hérédité est de mise ; dans les faits la loi du plus fort désigne souvent le monarque avec toutes les intrigues et les divisions consécutives. Ces divisions ne pouvaient que profiter aux barbares. Même de bonne volonté, l’Empereur était trop préoccupé de se maintenir en place pour assurer une politique suivie.

Or le rôle de l’autorité politique consiste à rendre les citoyens vertueux pour les responsabiliser, pour les faire participer au mieux au bien commun. Cela exige une stabilité, une persévérance que les institutions ne permettaient pas à l’empereur.
Il ne faut donc pas s’étonner que le Bas Empire, bien que chrétien, fût aussi une période de décadence :
 Désintérêt pour la chose publique (Rome et Constantinople sont des cités parasites où les citoyens sont oisifs, exempts d’impôts et entretenus par l’état).
 Désertion dans la défense de la Cité (les armées romaines sont essentiellement composées de barbares).
 Concubinage généralisé.
 Dénatalité (55 à 60 millions d’âmes au début du IIe siècle, 35 millions au début du IVe siècle).
On pourra consulter à ce sujet l’ouvrage de l’historien Pierre Chaunu : Histoire et décadence.
La Grâce ne va pas contre la nature, elle s’y ajoute, l’accomplit.
Le caractère chrétien des institutions romaines n’a pas suffi à les sauver de leurs insuffisances naturelles.

La royauté mérovingienne (496 - 751)

A la chute de l’empire romain d’occident une institution survit : l’Eglise.
Même si localement certains évêques commandent la Cité, en vertu de la distinction des deux pouvoirs temporel et spirituel, les autorités religieuses, à l’instar de saint Rémi, cherchent à instaurer une nouvelle autorité politique. Leur choix se porte sur Clovis, barbare franc qui en acceptant le baptême (Noël 496) reconnaît une royauté supérieure à la sienne : celle du Christ. Cet acte lui octroie une légitimité théologique reconnue par de nombreux peuples.
L’unité se refait, un nouvel espoir de cité chrétienne naît. Hélas ! Clovis a une conception du pouvoir qui est celle d’un barbare :
 sa légitimité naturelle se fonde sur sa force et son charisme, (qualités bien aléatoires dans sa descendance).
 le pays constitue un bien personnel du monarque et avant de mourir, il partage son royaume entre ses quatre fils.
Nous sommes donc en présence d’une institution politique extrêmement rudimentaire bien éloignée du souci du bien commun. Toute l’histoire des Mérovingiens (soit 255 ans) est émaillée de partages, de réunifications (6 réunifications totales) à force d’assassinats, de fratricides engendrant des guerres civiles.
Ces instabilités institutionnelles provoquent :
 L’affaiblissement de l’autorité politique.
 La disparition progressive des reliquats de l’administration romaine.
 L’anarchie dans la hiérarchie religieuse ; diocèses sans évêque ; diocèses avec deux évêques ennemis ; absence de concile ; inculture et débauche du clergé séculier (la propagation de la foi est assurée par le monachisme qui connaît en ce temps une grande expansion).
 La disparition de l’écriture (les ordres et les lois cessent d’être formulés par écrit).
 La violence et l’anarchie des comportements.
Bien que légitime du point de vue théologique, à cause d’une légitimité naturelle très imparfaite, la monarchie mérovingienne s’achève sur fond de déliquescence politique (les rois fainéants), de profondes divisions raciales, d’invasion musulmane.

La royauté carolingienne (751-987)

Un redressement va s’opérer grâce aux efforts conjugués d’un moine (saint Boniface), d’un pape et d’une famille soucieuse du bien commun : les maires du palais d’Austrasie. Ces derniers, Charles Martel puis son fils Pépin - le fondateur de la dynastie - sont les artisans de la victoire sur les Sarrasins.
Tous ces acteurs ont à coeur de réaliser un projet grandiose élaboré dans les monastères : l’unité de l’Occident dans le christianisme par une union étroite du pape et du roi.
Avec les Carolingiens, la légitimité théologique trouve un plein épanouissement :
 Le roi est le protecteur actif de l’Eglise, il chasse l’hérésie, au besoin il convoque et préside même un concile. Les descendants de Pépin le Bref sont imprégnés des paroles d’Isidore de Séville (un des principaux théoriciens de cette monarchie) : “Que les princes des siècles sachent que Dieu leur demandera des comptes au sujet de l’Eglise, confiée par Dieu à leur protection”. “La paix et la discipline ecclésiastique doivent se consolider par l’action des princes fidèles”.
 Par la cérémonie du sacre il reconnaît que sa royauté vient de Dieu et qu’il Lui doit des comptes sur le salut du peuple qui lui a été confié. Sa personne devient “sacrée”.
Dans l’ordre de la légitimité naturelle, les Carolingiens font leur le principe résumé par l’évêque Jonas d’Orléans : “La fonction royale est de gouverner et régir le peuple de Dieu avec équité et justice, pour qu’il puisse conserver la paix et la concorde”.
De fait, la dynastie commence avec une série de rois très pieux, énergiques, organisateurs, tournés vers le bien commun. L’unité de l’Occident et son redressement sont réalisés par le génial Charlemagne à la faveur d’un long règne (46 ans).
On a parlé à juste titre de renaissance carolingienne :
 Administration centralisée et efficace : le royaume est divisé en provinces à la tête desquelles le roi désigne un comte qui est son représentant.
 Renouveau intellectuel et religieux. On redécouvre le latin et le grec, on débarrasse les écritures saintes des ajouts et des fautes de traduction des copistes.
 De nombreuses écoles sont ouvertes auprès des évêchés et des monastères, destinées à fournir un clergé compétent et des administrateurs convenablement instruits.
 Les ordres sont à nouveau formulés par écrit.
 Essor de la littérature, des sciences, des arts décoratifs, de l’architecture, de l’industrie textile.

Malheureusement les institutions politiques conservent une tare héritée des Mérovingiens : à la mort du roi, le royaume est divisé entre ses fils. Et si au début les circonstances et les bonnes volontés permettent de surmonter ce danger, il n’en va plus de même à partir des petits-fils de Charlemagne qui se déchirent. Ces luttes pour le pouvoir sont lourdes de conséquences :
 L’empire est divisé en trois, puis cinq royaumes indépendants.
 L’autorité royale s’affaiblit alors que celle des comtes sur leur province respective augmente.
Certains se révoltent ouvertement contre le roi.
 A partir de 841 et profitant de ces désordres, les Normands dévastent de nombreuses villes, puis vers 896 s’emparent de territoires de plus en plus grands. Pour enrayer cette invasion, en 911 le roi Charles le Simple est contraint de leur céder une province - la future Normandie - moyennant l’hommage lige de leur chef Rollon.
 En 877 Charles le Chauve fait une redoutable concession : avant son expédition pour secourir le pape menacé par les musulmans, il accepte un gouvernement intérimaire par conseil des grands (comtes et évêques). A sa mort, pour lui succéder son fils Louis le Bègue est obligé de négocier avec les grands : ceux-ci acceptent de l’élire à condition qu’il rende héréditaire la charge comtale.
En 888 les grands élisent roi un des leurs, Eudes, un ancêtre des Capétiens. Un deuxième roi est élu avant la fin du règne d’Eudes.

L’échec des institutions carolingiennes est consommé : les grands élisent et déposent les rois selon leurs intérêts. Même s’ils lui prêtent serment de fidélité, ce sont eux qui exercent le gouvernement politique sur de véritables principautés territoriales.
Une fois de plus et malgré une légitimité théologique certaine, une institution politique est impuissante à juguler les forces de dissociation parce qu’inachevée du point de vue de la légitimité naturelle.

Le bouleversement capétien (987-1789)

En 987 Hugues Capet est élu roi par les grands puis sacré, sous la pression du puissant archevêque de Reims : Adalbéron. Lors de l’élection, ce dernier expose le point de vue suivant : étant donnée l’expérience passée, pour épargner au pays les divisions entre héritiers, la monarchie ne doit plus être héréditaire mais élective.
Très habilement, de son vivant, Hugues Capet fait élire puis sacrer son fils aîné. Ses successeurs feront de même et il faudra attendre la fin du XIIe siècle pour que les Capétiens, sûrs d’eux, se passent du sacre anticipé. [et même de l'élection: le principe héréditaire de mâle en mâle par ordre de primogéniture est acquis. La collatéralité viendra en 1316 avec Philippe V à la mort de Louis X]
Le royaume n’est plus partagé entre les enfants : seul l’aîné succède, ce qui assure stabilité et continuité ; la légitimité naturelle du pouvoir réalise un grand pas.
Cet événement capital passe pourtant complètement inaperçu à ses contemporains, probablement parce qu’il est sans effet perceptible immédiat. En effet, l’institution s’est stabilisée mais le roi ne dispose plus d’aucun pouvoir :
Les comtes sont, pour la plupart, plus puissants que le roi ; ils ne se déplacent même plus pour lui prêter l’hommage féodal.
 Pour lutter contre une insécurité grandissante due à une absence d’autorité politique efficace, les clercs proclament “la paix de Dieu” au concile de Charroux en 989: interdiction de faire la guerre aux non combattants.
 Le comte, devenu chef politique, dote sa province de châteaux qu’il confie à des vassaux. Très souvent ceux-ci s’affranchissent à leur tour de la tutelle du comte. Cette atomisation du pouvoir politique se poursuit dans de nombreux comtés durant tout le XIe siècle.
 Le domaine royal couvre en gros l’Ile de France. Mais il est morcelé et disjoint par des châtellenies indépendantes et quelquefois hostiles comme celle du seigneur de Montlhéry dont les Capétiens ne viendront à bout qu’au XIIe siècle (c’est dire leur faiblesse).
 En l’espace de deux ou trois générations, la certitude s’établit que l’autorité du comte ou du châtelain ne lui vient pas du roi par délégation mais de la coutume.
Le début de la féodalité est une période d’anarchie durant laquelle on peut être vassal de plusieurs suzerains. Comment dès lors reconnaître la hiérarchie? Quand on ne sait plus à qui obéir, on n’obéit plus à personne, le dévouement vassalique disparaît. Il faut attendre les années 1110 et le règne de l’énergique Louis VI le Gros pour retrouver un ordre hiérarchique au sommet duquel on trouve le roi. Ce renouveau fait écho à la réforme grégorienne de l’Eglise. Un des éléments de cette réforme consiste à établir une hiérarchie, non par les hommes mais par la terre. Si un homme peut être plusieurs fois vassal de seigneurs différents, en revanche la terre n’est “vassale” que d’une autre. Un fief “meut” donc d’un autre fief et ainsi de suite jusqu’au royaume, jusqu’au roi. Louis VI aidé de Suger, abbé de Saint Denis et de nombreux clercs du royaume parvient peu à peu à imposer cette idée.
La renaissance de l’autorité politique royale s’accompagne très rapidement d’autres progrès :
 Redécouverte de la pensée de saint Augustin, des philosophes antiques, de la logique aristotélicienne, du droit romain. [à nuancer: il n'y a jamais eu oubli…]
 Construction d’écoles (dans les villes et autour des églises épiscopales), qui préfigurent les futures universités.
 Renouveau littéraire : naissance du roman courtois ; roman de la Table Ronde...
 Renouveau architectural : naissance de l’art gothique appelé à l’époque “ l’art français”; construction des cathédrales.
 Echanges commerciaux et intellectuels intensifs.
Pendant près de 300 ans le roi a toujours au moins un fils, c’est ce que l’on a appelé “le miracle capétien”, jamais une fille ne succède. En 1316 Louis X meurt en laissant une fille et une reine enceinte. [son frère Philippe V est reconnu roi par les Grands 1- les filles sont exclues du trône (règle de la « masculinité »). (chose curieuse on éprouva le besoin de donner une base juridique à la succession de mâle en mâle, on alla chercher une vieille loi des francs saliens « loi salique ». La France était décidément un pays de juristes. Et en 1358), 2- en cas d’absences de descendants mâles directs, le plus âgés des frères du souverain défunt lui succède (règle de « collatéralité »). Il ne vint d’opposition que de quelques grands féodaux et des princes de Valois (qui pourtant ne devaient pas tarder à profiter de cette règle, en 1328). 3- Enfin, ce qui est remarquable, c’est que personne ne pensa à rappeler les origines électives de la royauté. La raison décisive en faveur de Philippe V le Long eût été qu’en 987 on n’aurait jamais pensé à élire une femme.]
Faute de garçon la jeune fille va-t-elle succéder ? C’est risquer gros car le royaume pourrait tomber sous domination étrangère par le système de dot que la femme apporte à son époux. Avec le consentement général Philippe le Long, frère de Louis X, assure la régence. La reine mit au monde un fils, Jean Ier qui ne vit que quelques jours. Philippe succède sous le nom de Philippe V ; la loi de collatéralité est entérinée et conforte la loi de primogéniture mâle.
C’est ainsi qu’au fil des siècles l’institution politique s’enrichit de nouvelles lois (qui ne peuvent cependant pas contredire les lois déjà existantes) de façon quasi empirique : une difficulté survient-elle ? La solution adoptée devient définitivement la règle. Donc nouveau progrès de la légitimité naturelle, la continuité du pouvoir est assurée sans guerre civile. Peu à peu s’affirment les idées selon lesquelles :
 La couronne n’est pas la propriété du roi : si personne ne peut la lui prendre, il ne peut la léguer à qui il veut.
 La désignation de l’autorité politique s’affranchit de tout choix humain : le successeur est désigné par la loi ; cela épargne au pays le déchaînement des passions pour la conquête du pouvoir.
 Le pays n’est pas la propriété du roi, celui-ci exerce une charge, il est la composante du pays qui gouverne les autres composantes en vue du bien commun.
Les institutions de la monarchie capétienne sont donc les plus légitimes : Elles réalisent le mieux le bien commun par l’ordre, la stabilité et la continuité qu’elles procurent.
Les Capétiens ne comptent peut-être pas dans leurs rangs des personnages de l’envergure d’un Charlemagne, mais la stabilité de l’institution leur permet, génération après génération, de reconstruire solidement ce que les temps féodaux ont morcelé.
En outre cette légitimité naturelle permet à la légitimité théologique d’apporter ses plus beaux fruits : développement de l’Eglise, des institutions civiles chrétiennes (chevalerie, confréries bourgeoises caritatives...), de l’esprit missionnaire. L’histoire de France montre que le titre de fille aînée de l’Eglise n’est pas usurpé.
Il convient de rappeler encore que cette institution politique a reçu à maintes reprises l’approbation de Dieu (mission de sainte Jeanne d’Arc, apparitions du Sacré-Coeur à sainte Marguerite Marie, apparitions du Christ Roi à sainte Catherine Labouré quelques jours avant la Révolution orléaniste de juillet 1830).
Quelques chiffres : D’Hugues Capet à Louis XVI :
 On compte 33 rois en 803 ans ; 24 ans de règne par roi en moyenne (soit l’espace qui sépare deux générations).
 Aucune rupture, aucune entorse à l’institution n’est à déplorer.

III- Le temps de révolution

La Révolution contre les institutions

Au XVIIIe siècle se propagent les idées de Jean Jacques ROUSSEAU selon lesquelles:
 Les hommes sont bons par nature. [= négation du péché originel, donc négation de l'Incarnation, négation de la Rédemption, négation du christianisme tout court!... Le propre de nombre d'hérésies historiques a été de nier le péché originel.]
 Originellement ils n’avaient besoin de rien, ils étaient libres et égaux, ils étaient heureux.
 C’est la vie en société qui les a corrompus et a fait leur malheur.
 Pour retrouver ce paradis originel, il faut rendre les hommes libres et égaux. S’ils sont égaux, nul ne peut commander à l’autre, tous doivent commander : c’est la démocratie.
 La légitimité ne provient ni de Dieu ni de la réalisation du bien commun mais du peuple.
 Liberté Egalité Fraternité constitue le credo des révolutionnaires, le “Contrat social” de Rousseau, leur bible.

Or justement les institutions imposent à l’homme l’obéissance à une hiérarchie qu’il n’a pas choisie : obéissance [à la hiérarchie] s’oppose à liberté ; hiérarchie [obéissance] s’oppose à égalité.

Dès lors la Révolution n’a de cesse de combattre les institutions, de “libérer” les hommes de leur joug :
 Destruction de l’institution Eglise (détruire le fanatisme, on dit aujourd’hui l’intégrisme).
 Destruction de l’institution monarchique.
 Destruction du mariage et de la famille (divorce, avortement, contraception, remise en cause de l’autorité paternelle...).
 Destruction des corporations.
 Destruction des provinces.

L’institution de l’Ancienne France s’était élaborée au fil des siècles, au gré des nécessités grâce à la pensée inductive. La Révolution lui a substitué des embryons d’institutions créés de toutes pièces par une pensée déductive avec comme point de départ les idéologies.

Les institutions sous l’empire romain, quoique très imparfaites car elles se situent à un stade historique premier, reconnaissaient la nature politique de l’homme, alors que la révolution la nie. Les institutions qui en découlent [au temps de révolution] sont donc encore plus imparfaites que celles des premiers siècles. Situation d’autant plus aberrante après des siècles d’histoire particulièrement riches sur le plan institutionnel.
Dans ce cas peut-on encore parler d’institution pour désigner les démocraties révolutionnaires ? A l’instar de Tocqueville, nombre de sociologues estiment en effet que la démocratie moderne est plus un état d’esprit qu’une institution.
Le terme “institutions” est quand même incontournable en ce sens qu’aucune société ne saurait exister sans gouvernement. Cette réalité engendre d’ailleurs une véritable schizophrénie chez les démocrates : D’une part ils dénoncent la “ tyrannie ” de la société et des institutions qui s’opposent à la liberté et à l’égalité, d’autre part ils ne peuvent s’en passer car elles sont le fait de notre nature d’animal politique ; leurs existences échappent donc totalement à leur volonté et malmènent leur orgueil. Nous avons là une explication de cette défiance surprenante qu’ils ne peuvent s’empêcher de nourrir à l’égard de l’autorité politique qu’ils ont pourtant élue.
Cependant les institutions démocratiques sont dénaturées car leur finalité n’est plus le bien commun mais la libéralisation des individus.
En outre Tocqueville souligne la passion de l’égalité qui dévore inexorablement les hommes vivant en démocratie. Rien n’est plus opposé à l’idée d’institution qui ambitionne au contraire le triomphe de la raison sur la passion et celui de la hiérarchie bienfaisante et constructrice sur l’individualisme de citoyens égaux.

Les tentatives de rétablissement d’institutions politiques chrétiennes

Des régimes comme ceux de Garcia Moreno en Equateur, de Franco en Espagne et de Salazar au Portugal sont autant de tentatives de restauration de véritables institutions :
 Les partis sont interdits car facteurs de divisions.
 Les institutions civiles traditionnelles sont encouragées (politiques familiales, restaurations de corps de métier...)
 Les institutions politiques sont chrétiennes.
Malheureusement ces beaux édifices s’écroulent à la mort de l’homme fort et le pays retourne immanquablement à la Révolution.
Sur le plan de la légitimité naturelle, ces institutions sont donc très imparfaites, plus fragiles encore que celles du Bas Empire romain ou que celles de la monarchie carolingienne.

Conclusion

En guise de conclusion nous ferons trois constats :
 Il est impossible d’envisager une politique chrétienne durable dans le cadre démocratique, cela n’a jamais existé dans l’histoire. Continuer d’affirmer que c’est pourtant théoriquement possible relève de l’utopie car contraire aux faits.
 La dictature chrétienne (Garcia Moreno, Franco, Salazar) possède du point de vue naturel une légitimité très faible : son instabilité ne garantit pas la pérennité du bien commun.
 La mise en place d’une institution politique ne s’improvise pas : nos pères ont chèrement payé par plus de 500 ans de tâtonnements et de cafouillages l’élaboration de cette magnifique institution qu’est la monarchie capétienne. Prétendre repartir de zéro et créer de toutes pièces un régime catholique armé de la seule légitimité théologique serait irresponsable et orgueilleux. Ce serait surtout se moquer de la Providence en méprisant une institution dont on ne peut nier qu’Elle l’a suscitée et soutenue.
Trop de mouvements catholiques proposent une formation portant sur des principes de politique chrétienne mais refusent toute réflexion sur les institutions à mettre en place pour les appliquer, ceci par peur des divisions. C’est prendre les choses à l’envers :
Si la finalité reste aussi floue que des principes généraux, chacun a une idée toute personnelle pour y parvenir, comment envisager une action cohérente quand le moment favorable arrivera ? C’est l’unité de doctrine politique, l’union autour de la finalité concrète à atteindre, autrement dit l’union autour des institutions politiques à mettre en place qui donnera sa force au mouvement, qui permettra une action efficace.
Les sociologues nous disent qu’une institution n’est acceptée par le peuple que si celui-ci est convaincu de son effet bénéfique. En ces temps de crise et de désintérêt de la chose publique par des catholiques qui se sentent dépassés, l’action politique consiste d’abord à éclairer les intelligences sur la nécessité de l’institution politique grâce à l’information, à la formation, à la diffusion de nos idées. Pour juguler libéralisme et égalitarisme, ces passions qui dévorent nos contemporains, opposons :
 La raison : éclairons les intelligences sur la nécessité et la beauté de l’institution politique traditionnelle française.
 L’amour de Dieu, l’amour de l’ordre qu’Il a voulu, l’amour des institutions, l’amour de l’autorité, l’amour du roi.

Nous le voyons : il est impossible de faire l’économie d’une réflexion sur les institutions. Ne nous laissons donc pas aller à la facilité. A la lecture des chapitres suivants, attaquons une action persévérante de formation doctrinale.