19 décembre 2006

Manifeste légitimiste, L'autorité dans l'institution monarchique : caractères

“...Seul le roi est sacré à Reims et non la nation”. Paul Del Perugia. (1)

“Les mêmes choses dont Dieu se sert pour donner l’être aux choses il s’en sert pour les conserver”. Saint Vincent de Paul.

“La nature est la législation de Dieu, le temps est son mode d’expression”. Louis de Bonald. (2)

“Une constitution ne se rédige pas, elle naît. C’est le temps qui la compose et la transforme”. Charles Maurras.

L’AUTORITE
DANS L’INSTITUTION MONARCHIQUE :
CARACTERES ET TRANSMISSION


Introduction

L’étude des systèmes politiques pourrait suivre une classification historique, philosophique, géographique ou autre. Ce ne sont pourtant pas ces critères qui ont été retenus par les auteurs. Ces classifications n’auraient en fait aucun sens. Monarchie, démocratie, oligarchie, tyrannie, gérontocratie etc : cette classification reprise par tous les auteurs repose sur la forme revêtue par l’autorité.

C’est dire l’importance de l’autorité et de la forme qu’elle revêt pour la compréhension d’un régime politique. Il est donc nécessaire d’étudier non seulement la forme, qui permet de comparer un régime aux autres, mais surtout l’origine et les caractères de cette autorité, car c’est selon eux que la forme à été choisie.

Nous nous attacherons donc à mettre en évidence le lien très étroit entre la conception de l’autorité et les institutions mises en place dans l’ancien régime.
Il est une expression relative à la conception de l’autorité sous l’ancien régime dont l’importance est révélée par les polémiques qu’elle suscite encore : c’est l’expression “pouvoir absolu de droit divin”, interprétée de diverses manières aussi bien par ceux qui la dénonçaient que par ceux qui la défendaient.

Or il est nécessaire de comprendre cette définition si l’on veut comprendre la monarchie Très-Chrétienne qui y trouve son origine. “Comprendre” dans le sens de “prendre avec”, c’est-à-dire prendre parti. Que ce soit pour défendre ou attaquer. Car c’est bien dans ce cadre que nous travaillons.

I- L’autorité : origine et caractères

Bossuet décrit l’autorité royale par quatre de ses principaux caractères : sacrée, paternelle, absolue, rationnelle. Sa “Politique tirée de l’écriture sainte” est un enseignement très utile pour illustrer notre propos : principalement pour établir ce qui a été le plus controversé, à savoir ces trois caractères étroitement liés : sacrée, paternelle, absolue. C’est en effet par ces trois mots que nous pouvons expliquer ce que signifie cette expression “pouvoir absolu de droit divin”.

1.1. Sacrée : le droit divin, c’est le droit du créateur sur la création

C’est à l’un des plus grands juristes qu’il fût donné à l’ancien régime de posséder que nous allons nous adresser, qui fût Chancelier de France : il s’agit du chancelier d’Aguesseau à qui Louis XV avait confié l’énorme tâche de réformer le droit rendu archaïque par l’évolution de la société .
Qu’écrit le chancelier, l’homme le plus important en France après le roi lui même, en plein milieu de ce XVIIIe siècle et dont l’historiographie révolutionnaire et catholique ne veut retenir que les erreurs ?
“Il n’y a jamais, il n’y aura jamais de puissance qui ne soit sortie du sein de Dieu même. C’est Lui qui ayant formé les hommes par la société a voulu que les membres dont elle serait composée fussent soumis à un pouvoir supérieur (...). C’est de lui par conséquent que le chef de chaque nation le tient...” (3).
Ce qu’écrit ici d’Aguesseau, c’est exactement ce qui avait toujours été affirmé jusqu’à son époque comme l’avait magistralement rappelé Bossuet chargé par Louis XIV de l’éducation du Dauphin, utilisant largement l’Ancien Testament inspiré de l’Esprit Saint, et les Pères de l’Eglise.
Dans son livre sur l’autorité royale, il cite ainsi saint Paul “Que toute âme soit soumise aux puissances supérieures car il n’y a point de puissance qui ne soit de Dieu” (4). De l’Ancien Testament “Ecoutez, ô rois, ... C’est Dieu qui vous a donné la puissance : votre force vient du Très Haut.” (5). De Tertullien “Nous jurons, non par le génie des Césars, mais par leur vie et par leur salut… Mais nous regardons donc dans les empereurs les choix et les jugements de Dieu, qui leur a donné le commandement.. César est plus à nous qu’à vous parce que c’est notre Dieu qui l’a établi.” (6)
De saint Grégoire de Nazianze “ Respectez votre pourpre, reconnaissez le grand mystère de Dieu dans vos personnes... Soyez donc des dieux à vos sujets.” (7) Et Bossuet commente “C’est-à-dire gouvernez-les comme Dieu gouverne.” et il précise “...les princes agissent comme ministres de Dieu et ses lieutenants sur terre.” (8). Ce qui a pour conséquence que tout pouvoir est sacré. “Mais même sans l’application extérieure de cette onction, ils sont par leur charge comme étant les représentants de la majesté divine, députés par la providence...” (9) et Bossuet prend l’exemple de Cyrus païen “C’est ainsi que Dieu même appelle Cyrus son oint. “Voici ce que dit le Seigneur à Cyrus mon oint pour lui assujettir tous les peuples” (10).
Le cardinal Bellarmin écrivait : “Le pouvoir vient directement de Dieu seul, car il accompagne nécessairement la nature de l’homme. Il vient donc de Celui qui a fait la nature de l’homme (…). De plus, le pouvoir est de droit naturel : il ne dépend pas du consentement des hommes. Qu’ils le veuillent ou non, ils doivent être régis par quelqu’un, à moins de vouloir que le genre humain périsse…” et l’auteur qui le cite conclut “Avoir une autorité qui le gouverne est un bien dû à sa nature. Donc l’autorité est de droit naturel (…) nous pouvons étendre, au pouvoir en général, les deux qualités d’origine que lui attribuent les scolastiques : de venir de Dieu et d’être de droit naturel. ”
Nous pouvons constater que le droit divin tel qu’il était entendu sous la monarchie restait dans la plus parfaite orthodoxie des Pères et Docteurs de l’Eglise, puisque le chancelier d’Aguesseau, reconnu comme le plus grand juriste à son époque, reprenait presque mot à mot ce qui avait toujours été enseigné.
Bonald, cent ans après Bossuet, écrivait également : “Ce droit divin est le droit naturel, c’est-à-dire le moyen d’ordre établi dans la société pour sa conservation par l’auteur de la nature, et jamais personne n’a jamais imaginé que ce droit divin soit l’effet d’une révélation particulière ou d’une inspiration surnaturelle.” (11). Bonald reproche à Mme de Staël d’avoir donné ce sens erroné à cette expression pour mieux la discréditer : “Mme de Staël… parle de la doctrine du pouvoir divin comme si ceux qui la professent croyaient que la Divinité avait, par une révélation spéciale, désigné telle ou telle famille pour gouverner un état,… Il est facile d’avoir raison contre ses adversaires, lorqu’on leur prête gratuitement des absurdités...” (12)

Un contresens historique et un non-sens politique : le rôle du peuple dans l’établissement du pouvoir

Ce n’est pas l’intelligence humaine qui rend nécessaire l’autorité, ni même qui la désigne.
“Je crois possible de démontrer que l’homme ne peut pas plus donner une constitution à la société religieuse ou politique, qu’il ne peut donner la pesanteur au corps, ou l’étendue à la matière, et que, bien loin de pouvoir constituer la société, l’homme, par son intervention, ne peut qu’empêcher que la société ne se constitue, ou pour parler plus exactement, ne peut que retarder le succès des efforts qu’elle fait pour arriver à sa constitution naturelle” écrit Bonald. (13)
Même à l’origine de toutes les civilisations, aux époques les plus reculées de l’ancien testament, il n’y a pas eu de choix. Les sociétés, si petites soient-elles, sont nées de la force des choses et les hommes ne sont entrés pour rien dans cette naissance. Comme le fait remarquer Bonald, le peuple ne peut pas choisir qui va le gouverner, car il aurait fallu qu’il existât avant d’être gouverné. S’il existe en tant que peuple, s’il a la possibilité factice de choisir l’autorité, c’est qu’il y a déjà une autorité. Cette institution de l’autorité dépasse sa volonté. Il s’agit d’un impératif qui conditionne l’existence humaine elle-même.
C’est en fait surtout à partir de la Réforme que certains penseurs vont émettre des affirmations contraires aux principes énoncés ci-dessus. Des auteurs tels Locke, Hotmann, Jurieu, Suarez, Saint-Simon, Boulainvilliers vont diffuser cette idée que le peuple ou les grands peuvent prétendre, par la voie des élus, à un contrôle de l’exercice du pouvoir sur celui qui en est le détenteur. Cette idée va faire son chemin. John Locke voit ainsi les lois comme des conventions entre gouvernants et gouvernés. En France, certains vont se prétendre les gardiens du bien commun, ayant pour rôle de reprendre le souverain qui pourrait manquer aux engagements du sacre : ils se voient les protecteurs du peuple contre les dérives possibles de l’autorité. C’est d’ailleurs au nom du peuple qu’ils parlent [Les parlementaires au XVII et XVIIIe siècles qui étaient des nobles qui parlaient "au nom du peuple": l'escroquerie intellectuelle était évidente car ces parlementaires avaient comme priorité non la défense des intérêts du peuple… mais leurs siens propres] Or il n’y a jamais eu de contrat entre le roi de France et ses sujets. Comme le rappelle Michel Antoine : “les droits et les intérêts de la nation n’étaient pas distincts de ceux du roi et ne reposaient qu’en ses mains. Il n’était responsable que devant Dieu. Par là se trouvait rigoureusement exclue l’existence ou même l’hypothèse d’un contrat synallagmatique entre le roi et ses sujets” (14).
Le peuple n’a jamais ni choisi la loi ni même désigné si peu que ce soit celui en qui réside le pouvoir suprême. [Le Roi mérovingien par exemple s'imposait naturellement parce qu'il était le plus fort et non par "choix du peuple" avec vote délibératif!] Si cela avait été le cas, on conçoit que ledit peuple puisse contrôler son délégué. Mais ce délégué n’est qu’un officier, un ministre parmi d’autres, le plus important sans doute mais officier seulement et non souverain. Cette supposition est de plus complètement factice : puisque il eût fallu pour envisager un tel processus que le peuple existât avant même d’être gouverné, et ceci est une impossibilité :
“Bien loin que le peuple en cet état (sans loi et sans pouvoir) pût faire un souverain, il n’y aurait même pas de peuple” écrit Bossuet (15) et Bonald poursuit “Une loi, ne fût-ce que celle qui réglementerait les formes à suivre pour faire la loi, un homme, ne fût-ce que celui qui l’aurait proposée, aurait toujours précédé cette prétendue institution du pouvoir, et le peuple aurait obéi avant de se donner un maître” (16).
Louis Dimier faisait ainsi remarquer : “Rien n’est moins selon le témoignage de l’histoire que d’imaginer les prétendues pratiques d’un pouvoir arbitraire, appuyées d’un faux droit divin, s’étalant au XVIIe siècle comme des nouveautés” (17).

Même en des temps reculés comme celui de Clovis par exemple, le peuple ne joue absolument aucun rôle actif dans l’établissement du pouvoir : tout au plus est-il appelé pour reconnaître celui qui désormais exerce l’autorité, mais cet homme ou celui qui va le remplacer si il est tué, destitué… est ce qu’il est, c’est-à-dire détient les capacités pour commander ni de lui ni du peuple mais des lois générales de toute société humaine dont Dieu seul est l’auteur : c’est le sens des paroles que Bossuet tire de l’Ecriture Sainte . Le roi est lieutenant de Dieu, non pas du peuple. La désignation comme la mise en place du pouvoir échappe au peuple. Bien sûr, son adhésion est demandée :
“...Tous ceux qui ont bien parlé l’ont regardée (la loi) comme un pacte et un traité solennel par lequel les hommes conviennent ensemble, par l’autorité des princes, de ce qui est nécessaire pour former leur société. On ne veut pas dire par là que l’autorité des lois dépende du consentement des peuples, mais seulement que le prince, qui d’ailleurs par son caractère n’a d’autres intérêts que celui du public, est assisté des plus sages têtes de la nation et appuyé sur l’expérience des siècles passés…. Dieu n’avait pas besoin du consentement des hommes pour autoriser sa loi, parce qu’il est leur créateur, qu’il peut les obliger à ce qui lui plaît ; et toutefois, pour rendre la chose plus solennelle et plus ferme, Il les oblige par un traité exprès et volontaire, c’est pourquoi tous les peuples ont voulu donner à leur loi une origine divine…” (18).
Il y a cependant eu des exemples dans l’histoire où quelques grands, voire le peuple entier, ont élu ou fait venir un souverain. Mais outre que ce fait soit relativement rare et lié non à l’exercice habituel du pouvoir mais plutôt à quelques circonstances particulièrement graves, il convient d’analyser ces quelques exemples plus en détail. En effet, quand le peuple franc acclame Clovis, quand les grands élisent Hugues Capet et quand les Romains appellent Tarquin, il ne faut pas voir là que le peuple donne l’autorité et crée le souverain : la nécessité de l’autorité ne dépend pas de sa volonté de même que les qualités personnelles du nouveau souverain ; si celui-ci est choisi par les grands, il le doit d’abord à ses qualités personnelles ou familiales sur lesquelles il (le peuple) ne peut pas grand chose et sur lesquelles les grands ne peuvent rien du tout. Il s’agit donc là plus d’une reconnaissance par les sujets d’un fait : la capacité d’untel pour gouverner et leur soumission à ce fait. C’est Dieu qui est à l’origine des capacités de cet homme, c’est
Lui aussi qui rend nécessaire cette autorité (Lui pour les catholiques, le hasard pour ceux qui n’ont pas la foi), Lui et non le peuple.
L’autorité est donc sacrée de par son origine.


1.2. L’autorité est nécessairement absolue

Le souverain ne devant sa puissance qu’à Dieu seul ne doit logiquement rendre compte qu’à lui seul de l’exercice de cette autorité sacrée.
Celui qui en France incarne le dernier terme de l’autorité n’est pas le délégué du peuple, mais le délégué de Dieu. C’est son règne qu’il doit établir bien sûr, mais nul ne peut prétendre avoir un pouvoir quelconque de contrôle sans contrevenir aux lois sociales [et naturelles] telles que l’induction nous les a fait connaître à partir de l’histoire et à la logique ainsi que Bonald le rappelait.

Ce droit divin qui est donc un caractère de l’autorité en implique un autre : son caractère absolu.
Ce terme a fait couler beaucoup d’encre. Absolu signifie littéralement “sans lien” : l’autorité est absolue en ce sens qu’elle n’est pas liée à l’accord des sujets. Voilà qui paraît banal. Et pourtant non.
Bossuet nous dit à ce sujet : “Pour rendre ce terme odieux et insupportable, plusieurs affectent de confondre le gouvernement absolu et le gouvernement arbitraire. Mais il n’y a rien de plus distingué...”(19). Ainsi pour lui l’un des quatre caractères majeurs de l’autorité est d’être absolue. Comme à son habitude, il demande à l’Ancien Testament d’illustrer son propos : “Observez les commandements qui sortent de la bouche du roi… La parole du roi est puissante, et personne ne peut lui dire “Pourquoi faites-vous ainsi.” (20) “ Ce n’est pas au nom des hommes que vous jugez, mais au nom de Dieu” (21).
“Ne jugez point contre le juge” (22). Il cite également dans le même sens saint Grégoire de Tours s’adressant à Chilpéric : “Nous vous parlons, mais vous nous écoutez si vous voulez. Si vous ne voulez pas, qui vous condamnera, sinon Celui qui a dit qu’Il était la justice même” (23). Bossuet en conclut donc fort logiquement : “Il n’y a point de force coactive contre le prince. Le prince ne doit rendre compte à personne de ce qu’il ordonne... Quand le prince a jugé, il n’y a point d’autre jugement... Sans cette autorité absolue, il ne peut ni faire le bien ni réprimer le mal... C’est ainsi que pour le bien de l’état on réunit en un toute la force. Mettre la force en plusieurs, c’est diviser l’état : c’est ruiner la paix publique, c’est faire deux maîtres”. (24).
Bourdaloue s’adressait ainsi à Louis XIV dans son sermon de Noël 1697 “Pour ma consolation, je vois aujourd’hui le plus grand des rois obéissant à Jésus-Christ et employant tout son pouvoir à faire régner Jésus-Christ, et voilà ce que j’appelle, non pas le progrès mais le couronnement de notre religion. Pour cela, Sire, il fallait un monarque aussi puissant et absolu que vous”.
En France, ce pouvoir suprême était détenu par le roi : ce que l’abbé Barruel affirmait en écrivant : “Dans tout gouvernement en effet, il existe et il faut qu’il existe un pouvoir absolu, un dernier terme de l’autorité légale, sans quoi les discussions et les appels seraient interminables. Les Français le trouvaient dans leur roi” (25). Louis Veuillot exprimait la même idée en écrivant : “La royauté absolue, c’est la royauté indépendante dans son ordre”.
François Bluche rappelle ainsi : “Nos ancêtres, à qui le latin n’était pas étranger, traduisaient (...) sans hésiter monarchie absolue par monarchie parfaite” (26) la monarchie par excellence, le pouvoir en un seul.

Le conseil n’est pas le contrôle

Affirmer qu’il puisse exister un corps politique susceptible de contrer l’autorité suprême, c’est institutionnaliser la schizophrénie dans l’ordre politique. Le roi, ou n’importe quelle autre institution, incarnant l’autorité, demeure la tête d’un tout, dont les corps intermédiaires jusqu’à la famille ne sont que les parties.
Le roi exerce son pouvoir sans être lié par l’accord de ses subordonnés, car il détient son pouvoir en vertu de principes qui sont supérieurs au roi comme à ses sujets, qui sont ceux par lesquels Dieu a fondé toute société et sur lesquels ils n’ont aucun titre ni aucun pouvoir.
Cette affirmation n’ignore pas la place des corps intermédiaires dans la société, en particulier leur rôle évident et nécessaire de conseil auprès du souverain.
Car si effectivement il y eut des corps intermédiaires dont la mise en place et l’évolution s’est faite au cours de l’histoire suivant l’évolution de la société sous l’égide royale, ces corps intermédiaires structurant la société entre l’autorité suprême et les familles ont eu un pouvoir délégué, toujours révocable par le roi, ils n’ont jamais eu un pouvoir de contrôle, mais un devoir de conseil auprès du souverain.
L’autorité politique et les corps intermédiaires ont chacun leur place. Car l’autorité royale, loin d’être barrée, contrôlée, restreinte en quoi que ce soit par la religion ou par les corps intermédiaires, y trouve au contraire son plein épanouissement puisque c’est dans l’établissement harmonieux même de ces éléments que se trouve sa fin .
C’est le rôle de cette institution, sa cause, d’harmoniser ces corps intermédiaires. Comme toute chose, elle doit être définie, or ce terme défini implique celui de limites au delà desquelles on devient étranger à ce que l’on a défini. Dire de la monarchie qu’elle ne peut supprimer les corps intermédiaires, c’est la définir par ce qu’elle n’est pas : ce n’est pas dire ce qu’elle est. Affirmer ensuite que la puissance royale est contenue par celle des corps intermédiaires est aussi stupide que d’affirmer de Dieu qu’il n’est pas tout-puissant parce qu’il ne peut pas faire le mal : faire le mal, ce n’est pas une force, un pouvoir, mais une absence de puissance. Le monarque ne peut supprimer les corps intermédiaires mais cela ne remet nullement en cause le caractère absolu qui est celui de toute autorité et n’implique nullement que l’un ou l’autre de ces corps intermédiaires ait le rôle de contrôler l’action du souverain et encore moins le pouvoir de la contrer : si le roi est contrôlé, il n’est plus roi ni monarque, mais officier délégué soumis par le fait même à ceux qui exercent ce contrôle.
Certains catholiques, dont la politique est quelque peu mâtinée de romantisme, veulent voir dans la religion, le décalogue ou les corps intermédiaires des barrières contre les dérives du pouvoir. C’est là aussi une vue de l’esprit qui les apparente plus à Marx qu’aux Pères de l’Eglise. Vouloir trouver un perfectionnement à l’exercice de l’autorité dans ce qui la supprime : c’est ce que veulent ceux qui voient dans un contrôle du pouvoir suprême des garanties contre les dérives toujours possibles de ce qui est humain. Si celui que l’on appelle “roi” doit cependant des comptes à qui que ce soit, alors il n’est pas souverain, il ne détient pas l’autorité, le pouvoir n’est pas monarchique. C’est celui qui contrôle qui détiendra la réalité du pouvoir. Or le contrôleur devenant détenteur du pouvoir, qui donc sera chargé de le contrôler, puisque contrôle il doit y avoir ?
Non, vraiment cette position n’est pas tenable.
On conçoit mal comment l’un d’entre ces corps intermédiaires tel un parlement comme celui de Paris autrefois ou, de nos jours, une assemblée dite nationale pourrait prétendre au contrôle du pouvoir, non seulement parce que ce serait en réalité prendre ce pouvoir politique au roi qui le détient en vertu d’éléments qui leur sont supérieurs et auxquels et l’un et l’autre ne sont pour rien, mais parce que ce serait attribuer à un élément du corps social la place suprême à laquelle en tant que corps “intermédiaire ” il n’a aucun titre : car celui-là même qui supprime l’autorité du roi en prétendant la contrôler se trouve derechef détenteur de cette autorité.
C’est exactement ce que Bossuet affirme à plusieurs reprises en l’illustrant d’exemples tirés de l’Ecriture Sainte.
Dimier écrit dans cet esprit : “Car, pour en venir au fait, qu’est-ce que le pouvoir? C’est, chez celui qui le possède, des moyens tels qu’il n’appartient qu’à sa volonté d’en suspendre l’exécution. Tout autre obstacle qu’on suppose possible à l’exécution de quelque chose supprime réellement le pouvoir de la faire. S’il faut à quelqu’un pour agir, s’il lui faut de nécessité le concours de quelque autre qui le puisse refuser, il faut avouer qu’il n’a pas le pouvoir. Cela est évident. Mécaniquement cette condition exclut ce mot, et sa suppression le ramène” (27).
On ne peut à la fois exercer l’autorité sur une personne ou sur un peuple et en même temps être sous son contrôle : “c’est chercher non pas la quadrature du cercle qui se résout dans l’infini mais la simple réalisation de l’absurde”.
Ce prétendu contrôle du peuple est radicalement étranger à toute monarchie, quelles qu’en soient par ailleurs les modalités.

Le contrôle du pouvoir par les sujets :
parfois une réalité, toujours une décadence

Ce qui constitue un essor, un fait de civilisation, c’est bien la conservation de cette unité du pouvoir paternel au fur et à mesure que s’établit la cité. Sa dilution dans plusieurs est une faiblesse. Par ce contrôle qu’il acquiert et garde, le peuple est non pas l’auteur d’un pouvoir mais l’auteur d’une absence de pouvoir et donc de puissance, il est une cause de faiblesse politique. Cette situation est une décadence et non pas un fait de civilisation. La démocratie n’a jamais existé à l’échelle d’un pays. Tout au plus l’oligarchie, et là encore, comme en monarchie, le peuple ne choisit pas les détenteurs du pouvoir, il n’est en rien à l’origine de cette puissance qui de toute façon représente un pouvoir moins excellent que la monarchie : possédant à un degré moindre les caractères naturels de l’autorité nécessaire à la politique, il ne peut pas produire ce que produit la monarchie sur les peuples qui en bénéficient.
Il y a eu et il peut encore exister des cas de sociétés peu évoluées, c’est à dire proches de l’anarchie : sans état, ni culture, ni puissance, sans rien de ce qui fait un pays où le détenteur de l’autorité est le peuple, ou plus exactement la peuplade, que cette peuplade délègue son pouvoir à un homme en le reconnaissant comme chef, mais celui-ci ne détient pas l’autorité suprême puisqu’il a des comptes à rendre, il n’est pas souverain, mais officier, et il faut bien noter que cette peuplade, factice souveraine sur elle-même, reste un cas isolé, à la fois dans le temps et dans l’espace (si d’aventure elle a existé) pour laquelle parler de politique n’est pas approprié. Effectivement sa faiblesse la rend incapable de résister aux dangers qui assaillent d’ordinaire les états et qui la font disparaître rapidement.
On aura beau déblatérer indéfiniment sur le danger que représente le fait de n’avoir à rendre de comptes qu’à Dieu, on ne pourra jamais prouver que, pour un pays, le contrôle du peuple, ait été bénéfique à la réalisation du bien commun.
Le rappel de ces évidences s’impose malheureusement, car les hérésiarques politiques ont tellement pris l’habitude de se référer à un passé imaginaire pour en déduire leurs spéculations concernant l’exercice de l’autorité par le peuple que certains ont fini par avoir une vision complètement renversée de la réalité : ils ont cru que l’exercice de l’autorité par le plus grand nombre était le cas général à l’origine des sociétés, ils ont induit de ces cas isolés que le peuple pouvait prétendre à un contrôle de l’exercice de l’autorité du fait que c’était lui qui était à l’origine de cette puissance ; ils ont généralisé un cas isolé et déficient pour en faire un cas général et idéal. De cette erreur ils se sont servis pour affirmer que c’était leur principe qui avait subi des attaques et qu’un retour aux sources s’avérait indispensable pour le salut du peuple, de la religion, de l’état..., alors que c’était exactement l’inverse qui s’était passé. Si, en France encore plus qu’ailleurs, l’état était si stable, la religion si florissante, les villes si nombreuses, l’économie développée, si la transmission des lois morales, première fin de toute société avait pu être assurée, c’était parce ce qu’on avait respecté les lois naturelles, et que dans la conservation de ces lois résidait la vertu politique.
C’est ainsi qu’a été remis en cause le pouvoir absolu de droit divin. Il ne faut pas croire que cela ait été réalisé de manière uniforme dans le temps et dans l’espace. Il y a toujours eu des contestations de l’autorité. Si précisément les termes de pouvoir absolu de droit divin ont suscité tant de polémiques y compris chez ceux qui ont la même foi, c’est parce que la remise en cause de l’exercice de l’autorité tel que Bossuet l’envisage d’après l’Ecriture Sainte et les Pères de l’Eglise a revêtu des formes évidemment beaucoup plus dissimulées que la simple négation. Il est d’ailleurs nécessaire pour bien comprendre les implications et les conséquences de cette contestation de voir son développement historique, car ceux-là même qui en ont été les responsables, bien qu’ils aient eu plus facilement recours à la déduction pour justifier leur théories institutionnelles qu’à l’induction à partir des faits, qui est pourtant la méthode de la politique, ceux-là n’ont pas pu s’empêcher de faire reposer la légitimité de leur affirmation sur l’histoire.
Nous étudierons cet aspect historique dans les derniers chapitres de ce manifeste.

1.3. Divine et absolue, l’autorité est aussi paternelle

Lorsque l’on étudie l’origine des civilisations, qui correspond au début de l’histoire et que l’on connaît en particulier grâce à l’Ancien Testament, on remarque que tous les royaumes, les empires, les “état ” ont une origine patriarcale, que dans ces civilisations patriarcales l’autorité est issue de la famille, et que dans ce cas l’autorité est encore plus indépendante des sujets et plus forte que dans n’importe quelle autre espèce de situation. “La première idée de commandement et d’autorité humaine est venue aux hommes de l’autorité paternelle.” (28) écrit Bossuet. Ainsi le gouvernement monarchique “était tellement le plus naturel qu’on le voit d’abord dans tous les peuples” (29). Il rappelle également que le plus ancien nom de roi cité par l’Ancien Testament est “Abimélech”, ce qui signifie littéralement “mon père le roi” (30).

Dans le même esprit, Funck Brentano cite quelques auteurs : “L’autorité du roi était celle du père de famille ; le pouvoir patriarcal et le pouvoir royal sont à l’origine apparentés de très près.” (31) “Le principe du pouvoir royal est alors familial : le roi est le chef de famille.” (32) “Les premières sociétés furent des familles et la première autorité fût celle des pères sur leurs enfants. Les rois exercèrent sur les nations l’autorité que les pères avaient sur les premières familles” (33).

De par son origine, le pouvoir du roi est paternel.

Comme un enfant doit la vie à ses parents, la société doit son existence à la présence de l’autorité qui la gouverne. C’est la présence de cette puissance qui lui assure l’unité et la paix dans la recherche du bien commun. Sans elle, la société ne saurait durer ni même naître. Le pouvoir qui donne naissance est donc nécessairement paternel.

Il y a de ce point de vue une analogie parfaite entre le pouvoir de Dieu, le pouvoir du roi et le pouvoir du père de famille : à chacun successivement tout individu doit l’existence, et ces trois pouvoirs ont les mêmes caractéristiques car les deux pouvoirs du roi et du père de famille tirent leur origine et sont l’image du premier. Bossuet fait très justement remarquer “l’obéissance qui est due à la puissance publique ne se trouve, dans le décalogue, que dans le précepte qui oblige à honorer ses parents.” (34) : le roi est le père de son peuple comme Dieu lui même est notre père.
Ce lien qui unit le roi à ses sujets est le plus inviolable qui puisse être car c’est le lien naturel qui unit le père à ses enfants, l’amour filial et l’amour paternel : bien des historiens ont rappelé à quel haut degré la monarchie française avait incarné cette réalité .
“Rien n’est plus propre à assurer l’unité que ce qui est un par soi” selon la formule de St Thomas, et c’est ce qui justifie le fait que le pouvoir soit exercé par un seul. Mais il y a aussi le fait qu’il est plus naturel d’éprouver des sentiments d’amour filial à l’égard d’une personne que d’une assemblée de personnes : de ce point de vue, le pouvoir monarchique correspond mieux aux caractères naturels de l’autorité que n’importe quelle autre forme d’institution...
Il est donc parfaitement logique que l’autorité publique dont l’origine et l’exercice sont paternels se transmette avec les mêmes caractères. Ainsi que le rappelle Bossuet “rien n’est plus durable qu’un état qui se perpétue par les mêmes causes qui font durer l’univers, et qui perpétue le genre humain” (35).
Le gouvernement monarchique de la cité est le meilleur parce qu’il est celui par lequel l’autorité est établie sur les bases les plus solides parce que les plus naturelles.
C’est d’ailleurs de ce caractère paternel de l’autorité que sont tirées toutes les autres “ lois fondamentales” destinées à assurer la transmission dans le temps de ce pouvoir et des bienfaits qui en découlent : loi de primogéniture, agnation, collatéralité, etc...

1.4. Rationnelle

L’homme étant un animal raisonnable, il paraît bien évident que l’exercice de l’autorité relève bien de la raison et non des passions. “N’aurait-on qu’un cheval à gouverner, et des troupeaux à conduire, on ne peut le faire sans raisons : combien plus en a-t-on besoin pour mener des hommes, et un troupeau raisonnable”. (36) écrit Bossuet et il poursuit “moins vous avez de raisons à rendre aux autres, plus vous devez en avoir en vous-même” (36).
Cet aspect est très important parce que lié directement à la nature de l’homme : corps et âme, c’est pour l’ancien régime l’âme qui l’emporte sur le corps, la raison sur les sentiments.
C’est le sens du songe de Salomon qui ne demande à Dieu ni les richesses, ni même une longue vie, mais bien plutôt la sagesse. La justesse de sa demande satisfait Dieu qui lui accorde également les biens secondaires.