19 décembre 2006

Manifeste légitimiste, La transmission de l'autorité : les lois fondamentale

I- La transmission de l’autorité : les lois fondamentales

1- Primogéniture, 2- Masculinité, 3- Collatéralité, 4- Indisponibilité, 5- Principe de catholicité

Saint Thomas nous enseigne que “la vertu est l’habitude d’un bien”, pour un pays comme pour un individu. Si une génération peut engager un pays sur la voie du bien, parfois de manière efficace, ses institutions pourront être qualifiées de bonnes si après la disparition des hommes qui l’ont gouvernée le progrès qui leur est dû demeure. Aucune institution de courte durée n’a pu assurer une prospérité stable à un pays: l’exercice de l’autorité doit être assuré en vue du bien commun non seulement pendant la vie du souverain, mais également après sa mort ; il est donc nécessaire que les institutions établies assurent cette transmission sans heurts. A cet effet, l’ancien régime avait défini un certain nombre de règles plus connues sous le nom de “lois fondamentales”.

2.1. La loi de primogéniture

L’unité et l’hérédité du pouvoir
Saint Thomas et Bossuet avaient déjà établi les bienfaits de l’unité du pouvoir, Bonald a renouvelé sa défense après la Révolution dans les termes suivants : “La première condition du pouvoir est d’être un, et le pouvoir n’est entre les hommes un si grand sujet de division, que parce que il ne peut pas être objet de partage. C’est la tunique sans couture qui ne peut être divisée et se tire au sort, et toujours entre les soldats.” (37) “La division du pouvoir en lui-même est la division légale de l’unité du pouvoir, loi première, ou plutôt dogme fondamental de la société : tout royaume qui s’écartera donc de cette unité sera désolé : désolé par les factions, désolé par les haines, désolé par les ambitions ; il sera désolé et détruit, car deux pouvoirs forment deux sociétés toujours en guerre l’une contre l’autre” (38).

Comme nous l’avons vu précédemment, la division du pouvoir est si peu conforme au droit naturel, qu’on la trouve très peu dans les premiers siècles, elle engendre dans la plupart des cas la disparition des sociétés qui en sont affectées. Le sort du triumvirat César - Antoine - Pompée illustre à travers les guerres qu’il a engendrées, l’utopie du gouvernement à plusieurs.
La tendance naturelle des différentes sociétés primitives reste d’établir l’unité du pouvoir.
L’exemple le plus connu de ce progrès institutionnel est bien sûr l’empire romain.
Cependant si la plupart des sociétés originelles bénéficient de l’unité, ce premier pas vers le droit naturel est incomplet. Effectivement, la possession de cette autorité est viagère. La stabilité qui en résulte ne se maintient pas dans le temps. Trois principaux problèmes sont rencontrés dans ces entités.
- Problème de la succession : le choix de l’empereur romain se résume à une compétition entre les personnes influentes d’un règne qui convoitent le pouvoir suprême et se battent entre elles pour l’obtenir. En Pologne, l’élection d’un souverain suscite les mêmes envies de la part soit des grandes familles polonaises soit de souverains étrangers qui veulent augmenter leur influence, la dévolution du pouvoir se résume à une surenchère d’or et à de nombreux assassinats.
- Faiblesse intrinsèque de l’autorité : ce flou dans l’origine et la transmission de l’autorité ne se manifeste pas seulement lors du décès du souverain. Celui-ci étant arrivé au pouvoir grâce à ses qualités ou plutôt à son ambition et aux promesses faites à son entourage, il le perd dès qu’un sujet a assez d’ambition pour le chasser. La déification de l’empereur par les Romains n’a pas suffi à compenser la faiblesse de ce système dont l’équilibre est rompu non seulement à la mort du souverain, mais souvent même bien avant que celle-ci n’intervienne.
- Problème de stabilité : pour se maintenir, le souverain va s’entourer de beaucoup de précautions, être tantôt très dur pour son entourage et ses sujets, tantôt trop prodigue. Il ne pourra pas prendre de mesures si celles-ci déplaisent au peuple, même si ces mesures sont indispensables au bien commun. Même si l’état est catholique ces inconvénients demeurent, comme cela apparaît clairement après la conversion de Constantin.
Avec l’empire romain et la Pologne voici quelques exemples de sociétés dont les causes d’instabilité résident dans la rupture chronique de l’unité :
- Garcia Moréno et Salazar ont favorisé dans leurs pays la religion catholique, une saine administration, mais cette situation ne s’est pas maintenue après leur disparition. La succession d’un grand homme a toujours été un problème. Quand elle n’est pas précisée par des lois simples et claires tenant compte de la nature humaine, elle devient l’enjeu non pas du hasard mais des convoitises, de la finance, l’objet d’influences occultes, de discours aussi pompeux que mensongers, en bref de tout un art dans lequel nos ennemis sont passés maîtres.
- Enfin à notre époque, en admettant qu’un grand homme puisse accéder au pouvoir indépendamment de la haute finance et des loges, il ne serait élu que pour 5 ans ; après cette période, quel avenir, quelle continuité sont assurés au pays ? Qu’est-ce que 5 ans à l’échelle d’un pays ?
En définitive dans ces systèmes l’autorité dépend encore beaucoup des volontés particulières des individus, de leurs passions, plus que du bien commun. Nous renvoyons au chapitre “de la nécessité d’une bonne institution” qui montre bien que cette instabilité n’est pas une vue de l’esprit.

De cette faiblesse va naître l’hérédité qui va donner à l’unité le temps qui lui est nécessaire.
L’hérédité assure on ne peut plus clairement la transmission de l’autorité sans que celle-ci perde son indépendance par la compétition qui résulterait d’un choix plus général à chaque génération. Ce n’est plus alors un individu qui exerce le pouvoir, mais une famille. Ainsi la continuité nécessaire à la prospérité du pays est assurée.
L’hérédité du pouvoir est une conséquence nécessaire de l’indépendance de l’autorité, elle est à ce titre une expression fondamentale du droit naturel.
“Loi qu’aucune nation n’a impunément méconnue.” Ecoutons Bonald répondre à la critique rituelle qui est faite contre l’hérédité “sans doute les chances de l’hérédité portent à la tête des états comme à celles des familles privées des hommes forts et des hommes faibles ; toute famille nouvelle que l’usurpation élèverait au trône n’aurait pas à cet égard de privilège... La France a eu plus de rois faibles qu’aucune autre société, et plus qu’aucune autre aussi elle s’est accrue en population et agrandie en territoire, même sous les plus faibles de nos rois. C’est que la force de la France n’était pas dans les hommes, mais dans les institutions, et que le roi, fort ou faible, était toujours assez bon, pourvu qu’il voulût rester à sa place : semblable à la clef d’une voûte qui en maintient toutes les parties sans effort, même sans action, et par sa seule position… Sans doute le régent avait plus d’esprit que Charles V, Choiseul plus que Sully, Necker plus que le cardinal de Fleury, mais lorsque les choses sont ce qu’elles étaient en France, l’homme médiocre qui maintient est plus habile que l’homme d’esprit qui veut faire” (39).
Sans doute les différents empereurs romains ayant régné sur l’Empire possédaient-ils d’éminentes qualités sans lesquelles ils n’auraient pas pu accéder au pouvoir ; sans doute bon nombre de nos Rois ont-ils été servis par des sujets beaucoup plus compétents qu’eux dans de nombreux domaines ; mais si l’on compare l’Empire romain à la monarchie française, sur le plan de la stabilité institutionnelle, l’avantage va de loin à la France. Car en politique - science architectonique de toutes les autres - la compétence de l’autorité passe par son caractère absolu, et cette compétence nul ne la possède plus que le successeur de nombreux rois. L’automaticité de cette désignation est si affranchie, si au-dessus des qualités individuelles - dont la fortune flatte notre orgueil - que nous l’admettons difficilement, mais c’est dans cette indépendance que réside son bienfait pour le pays. Bonald va jusqu’à dire : “...Le monarque ne conserve pas la société par son action, mais par sa seule existence” (40) sous-entendu les monarques n’ont pas assuré la prospérité des sociétés par les qualités éminentes de leur propre personne, mais par le maintien de leur principe.
L’hérédité seule contient cependant une imprécision de taille qui peut remettre en cause l’unité du pouvoir : effectivement, si les bienfaits de la famille sont transposés au niveau de l’état, avec les Mérovingiens le pays est encore considéré comme un patrimoine privé. Aussi quand le souverain a plusieurs fils, le pays est partagé entre eux. Ainsi d’une seule entité politique va en naître autant que d’enfants, et la chose se renouvelant à chaque génération, cela conduit à une atomisation du pays. Il faut également noter que le partage de l’héritage fait toujours l’objet de contestations, et bien souvent de guerres civiles. Cette faiblesse des institutions sous la dynastie mérovingienne va engendrer la disparition de cette famille et l’accession des Carolingiens au pouvoir.
Avec ces derniers, un seul successeur hérite, mais cela ne fait pas encore l’objet d’une règle très précise, et aboutit à un compromis : la division de l’Empire entre les trois fils de Louis le Pieux en 843 au traité de Verdun. Les générations suivantes firent de même ou désignèrent un seul héritier choisi par le souverain régnant parmi les membres de sa famille, pas obligatoirement l’aîné, et qui est proposé à l’élection. Ce système reste faible car fondé en partie sur les qualités de la personne, et non exclusivement sur un principe. Les différentes entités qui en résultèrent se firent la guerre, les féodaux profitant de la faiblesse du pouvoir central pour augmenter leur importance, et se tailler autant de fiefs indépendants.
Lors des invasions normandes, le pouvoir n’aura plus assez de force pour lutter contre les envahisseurs. Il fera alors appel aux Capétiens.

Hérédité avec primogéniture

Comme les Carolingiens, les premiers Capétiens, ou Robertiens, tirent leur notoriété de perturbations, cette fois engendrées par les invasions normandes, contre lesquelles ils ont su lutter efficacement à la différence du pouvoir en place affaibli pour les raisons que nous avons vues plus haut : faiblesse institutionnelle. Les Robertiens vont finir par supplanter de fait le pouvoir et feront naturellement l’unanimité lors de l’élection de 987 ; élection rendue nécessaire pour atteindre l’unité politique, les grands seigneurs ne pouvant lutter isolément contre les Normands.

Cependant Hugues Capet tenait son titre de roi de l’élection des grands, ce qui était évidemment une faiblesse pour l’exercice du pouvoir par ce souverain et un risque pour le pays dans la mesure où les grands auraient pu réclamer le renouvellement à chaque génération de cette élection, laquelle aurait pris alors force d’institution, et nous avons vu plus haut la faiblesse d’un tel système. Conscients de l’intérêt capital qu’il y avait à établir l’hérédité de manière indiscutable, les premiers Capétiens vont faire sacrer leur fils aîné de leur vivant afin de prémunir le pouvoir contre les ambitions particulières qui n’auraient pas manqué de se produire à la jonction des règnes. Avec le temps, cette précaution devint inutile, car l’hérédité de fait qu’elle établissait fut admise par tous. La différence capitale entre Carolingiens et Capétiens réside dans le fait qu’avec ces derniers, c’est l’aîné qui succède seul et automatiquement à son père. La loi fondamentale de primogéniture devient une institution de fait, même si elle n’est pas encore reconnue comme telle. «Ainsi se trouve repoussée l’assimilation du royaume à un patrimoine privé.» (41)

Et se confirme la mise en place d’institutions plus proches du droit naturel car elles maintiennent l’unité dans le temps, malgré le changement de génération.
D’Hugues Capet jusqu’à Philippe-Auguste, les souverains ont fait sacrer leur fils de leur vivant, mais seule leur mort donnait à ce fils le titre et la fonction de roi. L’instantanéité de la transmission du pouvoir était donc assurée à une époque où la monarchie encore native aurait pu subir des contestations en cas de disparition d’un souverain respecté avant le sacre de son fils. Philippe-Auguste ne fait pas sacrer son fils aîné de son vivant car il juge le principe monarchique suffisamment bien implanté pour se passer de cette précaution. Son arrière-petit-fils Philippe le Hardi est le premier à dater ses actes non de son sacre mais de la mort de son prédécesseur. Ainsi se trouve admise la continuité de l’autorité et du principe monarchique à travers les différents princes qui personnifient ce principe.
Ainsi la fonction royale se trouve en quelque sorte séparée des personnes qui l’exercent, aspect peu admis jusqu’alors, ou tout au moins peu connu, et qui consacre la fonction royale comme publique et permanente, à l’image de la société qu’elle régente.
Les actes passés au cours d’une régence sont passés au nom du Roi “mineur”, en attendant son sacre à partir duquel il exercera la fonction royale. Ce sacre est renouvelé à chaque roi pour confirmer la persistance de l’autorité dans la même famille malgré le changement de génération.

2.2. La loi de masculinité.

Sous les Mérovingiens et les Carolingiens les femmes n’étaient déjà pas admises à la succession.
De 987 à 1316 le problème ne se pose pas aux Capétiens, car durant cette période l’aîné est systématiquement un mâle.
En 1316 Louis X meurt en laissant une fille, Jeanne, née d’un premier mariage, et une seconde épouse enceinte qui donna naissance à Jean Ier lequel mourut après quelques jours. Malgré certaines réticences, Philippe, comte de Poitiers, frère de Louis X se fit reconnaître Roi en 1317. Deux nouvelles lois fondamentales se dégagent à travers cette succession, qui précisent un peu mieux l’indépendance du pouvoir :
1-Lorsque un souverain n’a pas d’enfant mâle, le successeur est l’aîné des capétiens lui survivant, et ce aussi lointain que soit le degré de parenté. C’est ce que certains auteurs nomment la loi fondamentale de collatéralité que nous étudierons un peu plus loin.
2- Les femmes ne peuvent monter sur le trône, c’est la loi de masculinité.
En 1322 le problème se repose avec la mort sans héritier de Philippe V ; la solution adoptée est identique à celle qui prévalut en 1317. Charles IV troisième fils de Philippe le Bel et frère des deux Rois précédents accède au trône.
En 1328 Charles IV meurt à son tour sans descendant direct : son plus proche parent est Edouard III d’Angleterre, fils d’Isabelle soeur du défunt monarque. Or, cette princesse ne pouvant pas hériter du trône de France, ne peut pas non plus transmettre ce droit; aussi est-ce Philippe de Valois cousin germain du Roi disparu qui lui succède. Cette manière de trancher la succession, respectant la logique née des cas cités plus haut, fut remise en cause en 1340 par le Roi d‘Angleterre qui n’y trouvait évidemment pas son intérêt. Ce sera la guerre de Cent Ans.
Le principal avantage de la loi de masculinité, est d’éviter les compétitions et guerres civiles qui ne manquent jamais de se produire autour du mariage de l’héritière d’un royaume. Une bonne illustration de cette tendance nous est fournie par le mariage d’Anne de Bretagne, dernière héritière du duché de Bretagne ; sa main fut convoitée par tous les souverains d’Europe, à main armée bien souvent, au détriment des populations. Pour la chance de cette région ce fut la France qui l’emporta.
Il faut bien insister sur le fait que si Edouard III d’Angleterre fut exclu du trône c’est bien uniquement du fait de cette loi salique, et pas du tout à cause de la nationalité de ce Prince.
Effectivement, en appréciant les événements du quatorzième siècle avec un sentiment moderne de ce que sont alors la France et l’Angleterre, la nationalité peut être invoquée comme facteur influençant le rejet d’Edouard III. Mais ce n’est pas là une démarche d’historien digne de ce nom, toute analyse historique impliquant de se replacer dans le contexte de l’époque. Et c’est en se replaçant dans la mentalité du quatorzième siècle que nous pouvons affirmer sans hésiter que la nationalité n’est pas entrée en jeu, car la nationalité d’Edouard III si elle était étrangère, ne l’était pas plus que celle d’Henri IV qui, lui, est monté sur le trône. Effectivement en 1328, l’Angleterre est moins étrangère à la France que la Navarre en 1589.
En 1328 elle compte 10 fois moins d’habitants que la France, les fiefs les plus importants du roi anglais sont en France, et ce monarque y est d’ailleurs à ce titre vassal du Roi de France. La ville la plus importante de la brumeuse et peu attirante Albion est Bordeaux ! Un moine envoyé en mission en Angleterre par le roi de Perse crut son voyage achevé quant il atteignit cette dernière ville. En terme de possessions en France, de proximité avec le domaine royal, et surtout par sa proche parenté avec le roi défunt par sa mère, Edouard III était moins étranger qu’Henri IV. Et force est de reconnaître que ce qui a porté le pays à accepter celui-ci et à refuser celui-là, c’est la race, le nom, qui en France n’est transmis que par les hommes, non seulement au niveau des familles privées, mais aussi et surtout au niveau de la famille royale ; famille entièrement publique qui, précédant les familles privées, en fut le modèle pour ce caractère comme pour bien d’autres.
Ainsi en France, lorsqu’aucun enfant mâle ne vient assurer la suite d’une famille, le nom disparaît à jamais. Si une ou plusieurs filles relèvent le nom en question, la nouvelle famille n’en devient pas moins autre. Même si en adoptant un vieux nom elles en marquent le prestige et en assurent le souvenir, la mémoire collective le regardera toujours comme disparu. Lorsqu’une famille a plusieurs branches, si l’aînée de celle-ci disparaît, l’aînesse de la race passe à la branche qui la suit de plus près, aussi lointaine soit la parenté ; les filles pourront transmettre à leurs heureux conjoints toute leur fortune mais pas la race.

2.3. La loi de collatéralité

En 1328, la mort de Charles IV, troisième fils de Philippe le Bel, sans autre héritiers que des filles, ouvre une nouvelle crise successorale plus importante puisqu’elle déclenche, en 1340, la guerre de Cent Ans.
Qui doit-on choisir parmi les candidats mâles possibles ? Est-ce Edouard III d’Angleterre, neveu des trois derniers rois par sa mère Isabelle et, par conséquent, parent au troisième degré mais en ligne féminine ou bien Philippe de Valois, cousin germain du dernier roi, parent en ligne masculine mais au quatrième degré.
Isabelle, exclue comme toutes les filles de la succession royale, n’a jamais possédé le moindre titre à succéder. L’inexistence du titre entraîne l’inexistence d’une transmission. C’est donc à un collatéral par la ligne masculine qu’est revenue la Couronne. Philippe de Valois est devenu Philippe VI.
La Couronne est par conséquent dévolue, à l’infini, à l’aîné de la branche collatérale aînée, c’est-à-dire celle qui se rattache au roi défunt par l’ancêtre le plus rapproché.
Cette dévolution en ligne collatérale jouera entre cousins parfois éloignés : en 1498, Louis XII est cousin de Charles VIII au cinquième degré ; en 1589, Henri IV est parent de Henri III au vingt et unième degré.
La coutume de masculinité précisée par celle de collatéralité permettra, au début du XVIIe siècle, à Antoine Loysel d’écrire : “En France, le royaume ne peut tomber en quenouille”.

2.4. La loi d’indisponibilité

On a vu et compris dans le chapitre sur la loi de primogéniture mâle que la succession au trône repoussait toute considération de droit privé. C’est-à-dire que même le Roi n’est pas à l’origine de la désignation de son successeur, mais celui-ci est saisi par le droit public qui est supérieur à la volonté du souverain. La maison de Bourbon fait partie intégrante de l’institution dont elle est la clef de voûte. Cette personnalité morale acquise par le temps ne peut être diminuée par la personnalité physique qui la représente à un moment donné.
Cette indisponibilité a plusieurs conséquences sur l’exercice de la fonction royale: le Roi ne peut altérer le royaume dans sa “substance tant territoriale que juridique au détriment des prérogatives de ses successeurs”. (42) Il ne peut pas renoncer à la couronne pour lui-même et donc encore moins pour ses successeurs, comme le Parlement de Paris le rappela à François Ier captif à Madrid et soumis aux exigences de Charles Quint. De même les abdications de Charles X et du duc d’Angoulême en 1830 n’ont jamais eu aucune validité et leurs auteurs pas plus que leurs bénéficiaires ne les considérèrent comme valides. Enfin de nombreux royalistes se fixent sur les renonciations du traité d’Utrecht. Ecoutons Stéphane Rials, Jean Barbey et Frédéric Bluche à ce sujet avant de le développer plus profondément dans le chapitre sur l’orléanisme :
“Aucune renonciation n’est valable au regard des lois fondamentales. Elles violent la coutume constitutionnelle émanant de l’ordre même du royaume. Cette renonciation a beau revêtir la forme de lettres patentes, ces lettres, royales, mêmes enregistrées au parlement, mêmes prises en raison de nécessités internationales, ne peuvent, ainsi que tout acte issu de la volonté législatrice du monarque, parce que de valeur juridique moindre, déroger aux lois fondamentales constitutives d’un ordre supérieur... Attenter à cette coutume serait attenter au statut de la couronne et ôter toute signification à la fonction publique. C’est faire perdre à la monarchie le bénéfice d’efforts séculaires qui lui ont permis, avec l’élaboration des lois fondamentales, de profiler d’abord, d’asseoir ensuite le concept juridique d’état...” (43)

2.5. Le principe de catholicité

Cet ultime principe a été précisé dans les difficiles années du conflit politico-religieux de la fin du XVIème siècle.
En 1589, l’assassinat d’Henri III ouvre une nouvelle crise de succession.
Le successeur désigné par la coutume de masculinité est le chef de la maison de Bourbon qui descend de Robert, sixième fils de saint Louis, mais il est protestant.
Henri III avait ajouté aux coutumes constitutionnelles en vigueur une nouvelle - mais l’était-elle vraiment ? - loi fondamentale. C’est la loi de catholicité, exceptionnellement écrite dans l’édit d’Union de juillet 1588.
Dès la mort d’Henri III, les ligueurs s’en autorisent pour proclamer roi, sous le nom de Charles X, le cardinal de Bourbon, violant ainsi le principe de primogéniture tandis qu’une grande partie de l’armée et de la noblesse reconnaît Henri de Navarre, violant ainsi le principe de catholicité. Ce qui n’était encore, de la part de la Ligue, qu’entorse grave à la «loi salique» devient bientôt violation flagrante : au décès du prétendu Charles X en 1590, faisant fi de certains Bourbons catholiques mais alliés politiques d’Henri de Navarre, elle présente la candidature de Claire-Isabelle, fille de Philippe II d’Espagne et petite-fille par sa mère de Henri II. Double violation de la coutume de masculinité, qui provoque la réaction du Parlement de Paris.
Aux termes de l’arrêt Lemaistre, rien ne peut être fait “au préjudice de la loi salique et autres lois fondamentales du royaume de France”. La réplique est d’autant plus forte qu’elle réaffirme dans ses débuts, et non moins nettement, la loi de catholicité. Le but de l’arrêt est politique. Il convient de rappeler le titre d’Henri de Navarre à succéder, tout en l’invitant à abjurer la Religion Réformée. On sait que ce dernier franchit le pas en juillet 1593.
L’Édit d’Union de 1588 ne proclame pas une loi nouvelle mais une règle latente depuis le baptême de Clovis et chaque fois rappelée, depuis les Carolingiens, dans la cérémonie du sacre.
Les rapports entre la loi de catholicité et la loi salique ne sont pas d’ordre conflictuel ou hiérarchique. En mentionnant l’une et l’autre sans établir de primauté, l’arrêt Lemaistre les considère comme également nécessaires et complémentaires. Ce point est important car de nombreux catholiques considèrent que la loi de catholicité est la plus importante ou la plus nécessaire des lois fondamentales.
Cette appréhension de la loi de catholicité cache un surnaturalisme dénoncé dans le chapitre sur la nécessité d’une bonne institution. En effet à force de dire que la loi de catholicité est la plus importante, on finit par penser qu’elle est la seule nécessaire, et alors, faute d’instruction en ce domaine, on admet les pires erreurs politiques. La loi de catholicité touche à un domaine plus élevé que les autres lois, mais elle n’est pas plus nécessaire.
Avant son abjuration, Henri IV n’en était pas moins le successeur légitime, même si la loi de catholicité lui interdisait d’être le roi légitime. A supposer que le Béarnais eût persévéré dans sa foi, la loi salique suffisait à interdire toute désignation d’un autre successeur. Cette situation aurait simplement rendu nécessaire l’établissement d’une régence d’attente ou d’absence.
En bref, la loi de succession désigne le roi de droit, mais celui-ci ne peut devenir roi d’exercice que sous condition suspensive de sa catholicité.
Trois compléments doivent être fournis, concernant la loi de catholicité.
Tout d’abord, si le roi doit être catholique, la question du contenu de sa foi relève de Dieu et de sa conscience seule. Tant qu’il ne porte pas atteinte aux grands édifices dogmatiques et institutionnels de l’Église, il n’appartient pas à celle-ci de remettre en cause la légitimité du roi. Les rois excommuniés n’en sont pas moins demeurés rois.
En second lieu, de l’avis des légistes anciens et modernes, la théorie statutaire s’oppose au droit canonique sur un point : elle n’admet pas la légitimation par mariage subséquent. On naît prince du sang, on ne le devient pas.
Enfin, la loi de catholicité implique que le successible soit issu d’un mariage canoniquement valable.

II- Entre permanence et changement : naissance et évolution des institutions

3.1. naissance

Après avoir étudié les lois fondamentales, il importe de savoir comment elles ont pu naître. Nous emprunterons à Bonald et à Maurras un peu de leur clarté, pour introduire ce sujet difficile à traiter, surtout à notre époque.
Bonald au début du dix-neuvième siècle disait : “la nature est la législation de Dieu, le temps est son mode d’expression” (44).
Joubert affirme la même chose : “Les gouvernements sont une chose qui s’établit de soi-même, ils se font et on ne les fait pas... les constitutions ont été, sont, et ne sauraient être que filles du temps” (45).
Maurras au début du vingtième siècle confirme la sentence des deux grands penseurs : “Une constitution ne se rédige pas, elle naît. C’est le temps qui la compose et la transforme”.
Nous avons ici la description du processus : “...le temps est son mode d’expression.”, “...elle naît.
C’est le temps qui la compose et la transforme.”, “les constitutions sont filles du temps”.
Effectivement, des lois constituant l’Ancien Régime, lesquelles peuvent être données comme résultant du choix des hommes ? Aucune. La construction de l’édifice social ne peut être assimilée à l’expression d’une quelconque volonté générale. C’est seulement après une longue application appelée coutume qu’un élément de la constitution arrive à être désigné comme loi fondamentale par les juristes.
Voici ce que nos ancêtres appelaient la coutume :
“...La coutume n’est pas une règle posée délibérément par une volonté législatrice - comme une ordonnance royale ou une loi moderne - mais une systématisation juridique spontanée de la vie et de la pensée collective... La coutume n’est pas déclarative d’un nouvel état de droit. Elle ne crée ni ne décrète des règles nouvelles. Au contraire, par les liens directs et immédiats qu’elle établit entre l’ordre des faits et l’ordre juridique, elle constate des pratiques répétées - parfois inconsciemment - à la faveur d’un précédent ; ce précédent la fait surgir au grand jour et cristallise sur elle l’opinion publique ; la coutume les fixe en leur donnant consistance juridique et formulation consciente”. (46)
L’histoire des institutions d’ancien régime, et le fondement de leur prospérité, se résument dans ce comportement sage de nos ancêtres, cette soumission au droit naturel, qui seul permet à une société de s’établir, de passer de l’état natif à l’état naturel ; deux états que définit Bonald : “L’état sauvage de société est à l’état civilisé ce que l’enfance est à l’homme fait. L’état sauvage est l’état natif : donc il est faible et imparfait ; il se détruit ou se civilise. L’état civilisé est l’état développé, accompli, parfait, il est l’état naturel” (47).
On ne peut se contenter du mot obéissance pour qualifier le comportement de nos ancêtres vis-à-vis de leurs institutions. Ils sentaient si instinctivement leur bonheur lié à ces institutions (paternelles) qu’ils leur portaient une véritable affection. Attitude pour laquelle Bonald emploie et justifie le mot amour : “En effet l’amour est le principe des sociétés constituées ou monarchiques ; parce que l’amour est le principe de conservation des êtres, et que la société constituée est une réunion d’êtres semblables pour la fin de leur conservation. Ainsi volonté générale du corps social, volonté essentiellement droite et conservatrice, agissant par l’amour : principe des sociétés constituées”. (48) Il faut bien préciser que par volonté générale Bonald sous-entend ici le droit naturel qui est commun à tous les hommes.
C’est le fait de savoir sa vie liée ici bas à la présence d’une autorité, et des institutions qui organisent la société sous ce pouvoir, qui est à l’origine de cet amour : il est logique que le sentiment de piété filiale qui anime les individus envers l’autorité se reporte également sur les institutions qui régissent l’ensemble des rapports sociaux.
Ces lois de la nature ou dérivées de la nature, s’expriment, s’appliquent, enfin parviennent à la connaissance des hommes avec le temps, et par les faits ordonnés et cohérents que celui-ci soumet à l’intelligence humaine.
Ceci explique pourquoi certaines institutions dites fondamentales ne sont pas apparues à l’origine des sociétés, mais tout au long de l’histoire. Elles ont formé peu à peu la constitution, ou institution d’un pays, sorte de droit canon qui définissait un champ au sein duquel la prudence et la liberté pouvaient s’exercer mais dont les limites ne devaient pas être franchies.
Ceci étant, il reste que ces lois dites fondamentales n’ont pas toujours été appliquées : parfois rejetées, ou même tout simplement écartées dans certains autres pays qui ne les ont jamais reconnues et qui existent pourtant toujours. Pourquoi ne pourrait-on pas s’en passer aujourd’hui nous aussi : il y a bien d’autres institutions qui ont disparu. Il y a bien une évolution naturelle de la société au cours de l’histoire : l’oublier serait faire preuve de passéisme.


3.2. Evolution

Même si la présence des institutions dépasse la volonté humaine, l’intervention de l’homme est réelle néanmoins puisque la forme des institutions qui structurent la société entre la famille et l’état évolue dans le temps et dans l’espace.
Cette évolution dépend donc dans une certaine mesure de la volonté humaine, et c’est cette mesure qui nous intéresse ici. Pourquoi en effet certaines institutions disparaissent-elles quand d’autres apparaissent ? A quels critères obéissent ces mutations ? Comment est-il possible de définir certaines lois comme fondamentales, immuables : mises en place par la volonté de l’homme, elles seraient pourtant indépendantes de sa volonté.

N’y a-t-il pas là un paradoxe ?

Les institutions mises en place puis maintenues ou supprimées au cours de l’histoire le sont pour une cause précise puisque, comme dit saint Thomas : “en toute chose qui ne naît pas du hasard, la forme est nécessairement la fin de l’action.”. Si la cause disparaît, l’institution perd sa raison d’être. Il est nécessaire de l’analyser pour ne pas faire durer ce qui doit disparaître. Si la cause demeure, il importe d’en avoir conscience également afin de ne pas faire disparaître ce qui doit durer. Il convient donc de distinguer si la cause qui est à l’origine d’une institution est susceptible de changement ou non, afin d’éviter un blocage ou une récession dans la réalisation du bien commun.
Ainsi les institutions liées aux conditions matérielles doivent évoluer de la même manière que ces conditions matérielles par lesquelles elles existent. Cette évolution se fait de manière progressive depuis le début de l’humanité parce que l’homme a reçu ce pouvoir sur la matière.
Il y a cependant des lois qui durent depuis le début de l’humanité dans toutes les civilisations, même les plus primitives : un meurtre est un meurtre depuis toujours, et réprimé comme tel. La soumission des enfants aux adultes en est une autre. Ces lois sont liées en effet à la nature de l’homme elle-même, à sa fin, sa cause. Elles ne peuvent changer que si l’homme change, si l’homme n’est plus homme. Or ce changement, s’il était voulu par l’homme, constituerait une tentative d’usurpation contre nature. C’est pour cela que ces lois n’ont jamais été remises en cause (ce qui n’empêche pas pour autant les meurtres, et les désobéissances, mais c’est un autre sujet.)
Ecoutons Bonald décrire cette situation et les vrais rapports des hommes avec l’institution : “L’homme est libre dans un ordre de chose nécessaire ; il peut faire des lois d’administration, lois transitoires et qui règlent les actions privées ; en revanche, il ne peut faire des lois de constitution, lois fondamentales qui déclarent l’état naturel de la société et ne le font pas”. (49)
Ces institutions liées à la nature humaine (interdiction du meurtre, soumission des enfants etc.) sont donc fondamentales pour la réalisation du bien commun : leur disparition entraîne nécessairement une régression, un mal. Il en va de même pour certaines institutions politiques : liées à la nature humaine directement, leur disparition est un malheur à éviter et leur retour toujours souhaitable. Il y a donc bien une évolution des institutions, un progrès. Mais il ne se fait pas au hasard : ce progrès a une cause finale.
C’est cette cause qui peut nous renseigner sur l’actualité d’une institution ou sur sa vétusté. Ces institutions que l’homme a mises en place au cours de l’histoire peuvent changer quand leur cause disparaît, mais quand la forme de l’institution est liée à l’homme lui-même, comme c’est la cas pour les lois fondamentales énumérées ci-dessus, la cause ne peut pas disparaître. Ce serait peu ou prou la disparition de l’homme lui même.
Le progrès dans le domaine des sciences physiques, de la médecine, de l’architecture, passe par la découverte de nouvelles lois, de nouvelles techniques, sur la base desquelles l’homme peut réaliser des choses de plus en plus performantes. Ainsi toutes les réalisations architecturales qui nous entourent n’existent que grâce à une connaissance approfondie de la résistance des matériaux… sans laquelle elles n’auraient pu voir le jour, ou se seraient écroulées rapidement.
Des sciences comme l’éducation, la morale, la politique, n’échappent pas à la règle.
Dans les sociétés primitives, les institutions sont assez rudimentaires parce que la structure du groupe humain est très réduite et très simple également. Avec le temps, la société croît, sa structure est plus importante, et les institutions évoluent également. Des origines à nos jours, il y a donc eu un progrès : dans le domaine politique comme en architecture ou en médecine. L’autorité patriarcale du chef de famille s’exerce de manière différente : la justice, la diplomatie, la guerre, l’économie, la finance exigent la mise en place de nouvelles institutions.
Sous Saint Louis, la France était moins “ constituée ” que sous Louis XIV. L’institution, les lois fondamentales, si elles étaient indéniablement présentes en la personne du Roi, (bien que peu connues ) étaient souvent malmenées par les grands qui se révoltaient. La France comptait en 1250 une multitude de fiefs, d’entités plus ou moins indépendantes, hérités des troubles du XIe siècle, souvent concurrents entre eux, parfois coalisés contre le Roi pour en contester l’autorité et mettre en avant leurs intérêts privés. Ce manque d’affirmation des institutions se traduisait par des troubles peu favorables à la paix. Sous Louis XIV les institutions s’imposent avec davantage de précision, de fermeté, à l’ensemble du pays, nul seigneur ne peut sur la base de ses terres contester l’autorité du roi, il s’ensuit une mécanique plus favorable à la paix intérieure. Personne, aucun penseur n’a conçu l’évolution des institutions qui sont restées les mêmes mais plus admises sous Louis XIV que sous saint Louis.
Parce que la notion de progrès est indissociable de celle du temps comme cela a été vu précédemment, la vérité, que ce soit celle des institutions dans la science politique ou dans n’importe quelle autre science, ne peut être connue et appliquée que peu à peu. Mais le progrès enrichit, il ne détruit pas. C’est l’héritage de la tradition qu’il a fallu des siècles pour définir ; sa remise en cause serait non pas un progrès, mais une régression que nous ne pouvons souhaiter. Rejeter ces lois fondamentales issues de la nature humaine au nom du progrès est donc une absurdité, sauf à estimer que l’homme a changé de nature, auquel cas rien ne sert de vouloir restaurer un ordre lié à une nature humaine disparue : rejeter les lois fondamentales, c’est rejeter ce pour quoi elles ont été mises en place. Il faut donc choisir : soit l’on souhaite restaurer le bien commun lié à la nature humaine telle que l’admettait l’ancien régime, auquel cas il est nécessaire de restaurer et conserver ces institutions et lois fondamentales qui étaient liées à ce bien commun comme la cause à l’effet, soit l’on rejette les institutions et les lois fondamentales au nom du progrès, de la “réalité” du moment ou pour toute autre raison, et l’on rejette également le bien commun qui y est lié ainsi que la définition de la nature humaine dont était issu ce bien commun.
Qu’il y ait une évolution des institutions dites fondamentales ne peut être nié, mais il s’agit d’un enrichissement qui ne peut s’envisager par la destruction de ce qui a été acquis par l’expérience. C’est la distinction entre évolution et révolution qu’il est nécessaire d’opérer ici.
Ce n’est donc pas au nom du progrès que l’on pourra remettre en cause le rétablissement de ces lois, et encore moins au nom de la restauration du bien commun Très Chrétien. Vouloir édifier une société en rejetant ces lois qui assurent la transmission de l’autorité ou qui en précisent les caractères (absolue, paternelle etc…) au nom du progrès des transports, de la communication, de l’informatique, de la finance, de l’économie, est une erreur de raisonnement : ces institutions fondamentales ont une origine qui n’est pas liée aux progrès techniques quels qu’ils soient.
Ceci posé, les lieux et les temps ont vu naître et disparaître des sociétés et des pays divers parfois très éloignés de “nos” lois fondamentales.
Comment donc affirmer que ces lois fondamentales, liées à une nature humaine unique, universelle, sont indispensables à la réalisation du bien commun et reconnaître en même temps la très grande diversité des institutions qui ont régi les diverses sociétés au cours de l’histoire ? Soit ces lois sont indispensables, le bien commun ne peut être réalisé sans elles, ce qui revient à affirmer que les sociétés qui ne les ont pas connues n’ont pas connu le bien commun (ce qui est faux), soit ces sociétés ont pu réaliser le bien commun sans ces institutions, auquel cas elles ne sont pas indispensables : ce qui détruirait l’affirmation selon laquelle ces lois liées à une nature humaine unique sont nécessaires quelques soient les lieux et les époques.

Il y a là un paradoxe.

3.3. Multiplicité des lois

La perfection n’est pas de ce monde, et on ne peut accorder à aucune société d’avoir eu une constitution parfaitement naturelle, c’est-à-dire parfaitement légitime ; de même qu’on ne peut dire qu’un homme a vécu parfaitement suivant les lois de sa nature et du décalogue, puisque même le plus grand des saints pèche soixante dix fois sept fois par jour.
Les sociétés se sont plus ou moins rapprochées du droit naturel dans leurs constitutions. On peut affirmer que leur degré de légitimité correspond au degré d’indépendance de leur constitution comme le remarque Bonald :
“Ainsi l’Espagne est moins constituée que la France, puisque de la loi fondamentale de la succession héréditaire, elle déduit la loi politique qui appelle les femmes à succéder, conséquence que j’ai prouvé n’être pas un rapport nécessaire dérivé de la nature des êtres, la Pologne est moins constituée que l’Espagne, parce que, de la loi fondamentale de l’unité du pouvoir, elle n’a pas déduit la loi politique de la succession héréditaire”. (50)
Si les trois pays concernés par cet exemple, ont - entre autres - une loi fondamentale sur l’unité du pouvoir celle-ci se décline de manière plus ou moins précise d’un pays à l’autre. Présente à l’état brut en Pologne elle s’est améliorée en France, où cette unité se maintient dans le temps par l’hérédité. Cette diversité s’explique par deux phénomènes principaux : soit moral, c’est-à-dire lié aux hommes eux-mêmes, à leur capacité à progresser dans la science politique avec plus ou moins de bonheur, soit matériel ou contingent, c’est-à-dire lié aux phénomènes physiques sur lesquels l’homme ne peut rien faire d’autre que de les supporter. On ne peut nier que la géographie ou le climat ait une influence.
Cet effet du temps varie selon des données matérielles : géographiques, climatiques, etc. Si les institutions sont aussi variées que le nombre des pays, il reste que la réalisation du bien commun observée est étroitement liée aux capacités dont le pays concerné a fait preuve dans son histoire pour se rapprocher ou s’éloigner des lois naturelles que nous avons nommées “fondamentales”.
La multiplicité des institutions n’infirme pas le principe des lois fondamentales, pas plus que le temps plus ou moins long pendant lequel elles ont été connues et appliquées.
Même les sociétés actuelles, dont les dirigeants souhaitent tout sauf le bien commun scolastique, sont obligées d’admettre peu ou prou la nécessité de ces lois. Ainsi, la moitié des pays européens sont encore officiellement des monarchies. Officiellement, car en réalité la Hollande, l’Espagne et la Grande Bretagne... sont des oligarchies. Mais les oligarques apprécient la présence d’une “famille” royale qui donne dans une certaine mesure l’impression que le pouvoir est paternel et sacré : la cohésion du pays n’en est que renforcée. L’exemple de la Belgique est plus flagrant : seule la présence du monarque assure la très difficile cohésion entre les Flamands et les Wallons. La disparition de la monarchie entraînerait immédiatement l’éclatement du pays. Les deux peuples ne sont unis qu’au travers de cette autorité paternelle du roi. Même s’il s’agit ici aussi d’une oligarchie, la seule présence d’un être humain comme figure de l’autorité suffit pour produire l’unité, première nécessité pour la réalisation du bien commun. En France, où il n’y a plus de roi, le désintérêt pour la chose publique ne fait que croître. Ce besoin inné de l’incarnation de l’autorité se retrouve d’ailleurs peu ou prou dans les acclamations des meetings électoraux, ou le pouvoir est assuré par un “secrétaire général”, un “président”, un chef quelconque, mais non par un comité exécutif. Encore plus que le FN, c’est Jean-Marie Le Pen qui est honni. Le PCF, c’est Robert Hue. Chaque parti est incarné par une “personne”. Il n’y a pas de parti sans “tête de liste”, et qu‘est-ce que cette “tête de liste”, sans pouvoir d’ailleurs, sinon une rémanence de ce besoin naturel qu’a l’être humain de voir, d’entendre, d’écouter, de connaître une autorité incarnée et non abstraite, une rémanence de lois fondamentales ?
Les lois fondamentales, si vilipendées, demeurent toujours peu ou prou : “chasser le naturel, il revient au galop” affirme le dicton. On le voit encore au travers de nos modernes institutions. Très peu sans doute, le moins possible évidemment : tout est orienté vers un bien commun qui ne connaît pas de nature humaine, pas d’autorité sacrée, absolue, paternelle, seulement une autorité rationnelle, mais rationnelle inversée, où la raison est au service des sentiments et des passions, où l’esprit est au service de la matière. Une autorité qui est le négatif de l’autorité d’ancien régime. Et malgré cela, cette Europe n’arrive pas à supprimer tous ces restes de lois “naturelles”.
Il s’agit là bien sûr de l’archétype de la société qui ignore les lois fondamentales : il y a en fait entre l’ancien régime et la constitution des USA une multitude de constitutions différentes. Il y a même autant de constitutions que de sociétés politiques. Mais cette diversité ne remet pas en cause les lois fondamentales telles que nous nous attachons à les défendre : elle démontre, pour peu que l’on se donne la peine d’étudier “les faits qui jugent”, que la réalisation du bien commun est indissociable de la connaissance de ces lois. Que ce bien commun est assuré d’autant plus que ces lois sont admises.


Conclusion

Les lois fondamentales ne sont pas des “dogmes” : elles sont les moyens nécessaires à la plus grande réalisation du bien commun que chaque pays réussit à atteindre avec plus ou moins de bonheur pendant l’histoire. Elles ont été nommées fondamentales de préférence à d’autres lois parce que le principal souci de toute société politique est la transmission des lois morales. Liées à la nature humaine, elles sont d’actualité tant qu’il existe des hommes sur terre. Vouloir en faire l’économie, c’est s’orienter vers d’autres institutions, qui a priori ne sont pas ou sont moins naturelles et moins bonnes ; que cette “économie” soit envisagée de manière temporaire ou non ne change strictement rien, tout au moins pendant un certain temps. Si cet éloignement temporaire permet un plus grand bien, pourquoi hésiter ? A ce stade, il convient donc de procéder encore et toujours par induction : si l’on propose de nouvelles institutions, il est nécessaire de connaître quels sont les faits qui les justifient, car “ce sont les faits qui jugent” selon Bossuet. Ce sera l’objet d’une autre étude.

Références
(1) Paul del Perugia, Louis XV, Albatros.
(2) Bonald, La vraie révolution, réponse à madame de Staël, présenté par M Toda, p.59, Clovis, 1997.
(3) D’Aguesseau. Cité par Michel Antoine dans Louis XV, Fayard, 1993, p.169-170.
(4) Rom XIII, 1, 2. Cité par Bossuet, Education du dauphin, politique tirée de l’ Ecriture Sainte,
OEuvres complètes, T IX, p.227.
(5) Sap, XI, 2, 3. Cité par Bossuet, op. cit, p.229
(6) Bossuet, op. cit, p.229.
(7) Bossuet, op. cit, p.229.
(8) Bossuet, op. cit, p.227.
(9) Bossuet, op. cit, p.228.
(10) Isaïe, XLV, 1. Cité par Bossuet, op. cit, p.228.
(11) Bonald, op. cit, p.22.
(12) Bonald, op. cit, p.129.
(13) Bonald. Cité par Paul Bourget et Michel Salomon, in Bonald, librairie Bloud & Cie, Paris, 1905.
(14) Michel Antoine, Louis XV, Fayard, 1993, p.174.
(15) Bossuet. Cité par Paul Bourget et Michel Salomon op. cit, p.109.
(16) Bonald. Cité par Paul Bourget et Michel Salomon op. cit, p.109.
(17) Louis Dimier, op, cit. p.399.
(18) Bossuet, op. cit, p.213.
(19) Bossuet op. cit, p.238.
(20) Eccl, VIII, 2,3,4,6. Cité par Bossuet, op. cit, p.238.
(21) Par, XIX, 6. Cité par Bossuet, op. cit, p.238.
(22) Bossuet, op. cit, p.238.
(23) Greg.Tur.lib.VI.Hist. Cité par Bossuet, op. cit, p.238.
(24) Bossuet, op. cit, p.239.
(25) Cité par Louis Dimier, in Les préjugés ennemis de l’histoire de France, NEL, MCMXVII.
(26) F.Bluche, Louis XIV, p.186, Fayard 1986.
(27) Dimier, Les préjugés ennemis de l’histoire de France, p.395, NEL, MCMXVII.
(28) Bossuet op. cit, p.221.
(29) Bossuet op. cit, p.223.
(30) Bossuet op. cit, p.223.
(31) Paul Viollet, professeur à l’école des chartes. Cité par Funck Brentano in Le Roi, p.25, Hachette,
Paris 1912.
(32) Flach, les origines de l’ancienne France, III, p.399. Cité par Funck Brentano op. cit p.26.
(33) Moreau, Discours sur la Justice composé pour le Dauphin, p.35-36, 1782. Cité par Funck Brentano
op. cit p 186.
(34) Bossuet op. cit, p.230.
(35) Bossuet op. cit, p.225.
(36) Bossuet op. cit, p.247.
(37) Bonald. Cité par Paul Bourget et Michel Salomon op. cit, p.217.
(38) Bonald. Cité par Paul Bourget et Michel Salomon op. cit, p.218.
(39) Bonald. Cité par Paul Bourget et Michel Salomon op. cit, p.215 et 216.
(40) Bonald, Théorie du pouvoir politique et religieux, tome premier, p.176, Librairie Adrien le Clere, Paris 1854.
(41) Stéphane Rials, Jean Barbey et Frédéric Bluche, Lois fondamentales et succession de France, p.10,
D.U.C. Paris 1984.
(42) Stéphane Rials, Jean Barbey et Frédéric Bluche, op. cit, p.23.
(43) Stéphane Rials, Jean Barbey et Frédéric Bluche, op. cit, p.27.
(44) Bonald, La vraie Révolution, p.59, éd Clovis, Etampes 1997.
(45) Joubert. Cité par Paul Bourget et Michel Salomon op. cit, p.132.
(46) Stéphane Rials, Jean Barbey et Frédéric Bluche, op. cit, p.14.
(47) Bonald. Cité par Paul Bourget et Michel Salomon op. cit, p.15.
(48) Bonald. Cité par Paul Bourget et Michel Salomon op. cit, p.131.
(49) Bonald. Cité par Paul Bourget et Michel Salomon op. cit, p.135.
(50) Bonald. Cité par Paul Bourget et Michel Salomon op. cit, p.124.